vendredi 29 décembre 2017

L’économie numérique est patrimoniale

Ce texte est la suite de « Economie patrimoniale ».

Nous avons montré dans le texte précédent les différences qui existent entre l’économie de la consommation et celle du patrimoine : cette dernière est caractérisée par l’ambiguïté des prix et par une propension à agir au rebours des besoins.

Nous considérons ici le cas de l’économie « numérique », celle qu’a fait surgir l’informatisation à partir des années 1970. Elle n’est pas sortie d’une phase de transition car les entreprises obéissent encore aux habitudes acquises avant l’informatisation. Nous nous appuierons donc sur le modèle de l’iconomie1, qui décrit une économie numérique parvenue par hypothèse à la maturité.

Nous montrerons que l'économie numérique est essentiellement patrimoniale, ce qui entraîne des conséquences sur la stratégie et la gestion des entreprises, la nature de leurs produits et le régime du marché. Nous montrerons aussi que ces conséquences sont ignorées ou niées par la doctrine néolibérale, aujourd'hui dominante, qui a poussé les acteurs de l'économie dans une impasse.

Une production ultra-capitalistique

Toute entreprise s’appuie sur un stock de travail (le capital, « travail mort »), auquel elle associe un flux de travail nécessaire à la production (« travail vivant »). Elle est d’autant plus capitalistique que le stock est plus important par rapport au flux ou, autrement dit, que la part du travail consacrée à la formation du stock est plus importante.

Dans l’iconomie les tâches répétitives physiques et mentales sont automatisées. Le flux de travail vivant nécessaire pour produire un bien étant négligeable, l’essentiel du travail nécessaire à la production est réalisé lors de la phase initiale d’investissement (conception du produit, programmation des automates, ingénierie, organisation, etc.) qui la prépare, et dont l’accumulation forme un stock de capital.

La commercialisation du produit et les services qu’il comporte (conseil, information, maintenance, recyclage, etc.) nécessitent évidemment un flux de travail, mais celui-ci demande un dimensionnement préalable des ressources (architecture et débit d’un réseau, agences, effectifs, etc.) qui, là aussi, forme un capital.

On peut supposer, en schématisant comme les économistes aiment à le faire pour souligner l'essentiel d'une situation, que la part du « travail vivant » est négligeable. Le capital (« travail mort » accumulé) étant alors le seul « facteur de production », le coût de production se condense dans un « coût fixe » (sunk cost). Le coût unitaire d’un produit étant d’autant plus faible que le volume écoulé sur le marché est plus important, le « rendement d’échelle » est croissant.

Or le régime de concurrence parfaite ne peut s’établir sur le marché d'un produit que quand le rendement d’échelle est décroissant. Dans l’iconomie chaque marché obéit donc à un autre régime : soit celui du monopole naturel, soit plus souvent celui de la concurrence monopolistique.

Ces deux régimes, caractéristiques d’une économie patrimoniale, sont cependant ignorés ou refusés par les experts et régulateurs dont la référence est la théorie néoclassique, éventuellement fossilisée dans la doctrine néolibérale. Ils introduiront donc la concurrence de force, comme avec un chausse-pied, dans des réseaux d’infrastructure (électricité, chemins de fer, télécommunications, etc.) dont elle brise la cohésion technique et économique, et ils s’opposeront autant qu’ils le peuvent au déploiement de la concurrence monopolistique.

Cette politique qui va au rebours de la nature physique des marchés provoque une inefficacité massive.

La compétence, capital individuel

Les tâches répétitives étant automatisées, la main d’œuvre qui représentait naguère l’essentiel de l’emploi est remplacée par le cerveau d’œuvre : l’entreprise de l’iconomie mobilise l’intelligence des personnes qui participent à la conception des produits et à l’ingénierie de leur production, ainsi que de celles qui fournissent les services que les produits comportent.

Il est demandé à ces personnes de faire preuve de discernement devant les cas particuliers et d’initiative face aux imprévus, bref de posséder savoir-faire et savoir-vivre : elles doivent être compétentes. L’action productive d’une personne compétente étant pratiquement instantanée, son temps de travail est pour l’essentiel consacré à l’accumulation et la tenue à jour de sa compétence.

Le salarié de l’iconomie est ainsi le détenteur d’un capital individuel. Le capital total de l’entreprise est l’addition du capital fixe évoqué ci-dessus (conception, ingénierie, automatisation, organisation, dimensionnement, etc.) et du capital de compétence de ses agents.

Si l’entreprise maîtrise son capital fixe il n’en est pas de même de son capital de compétence, car rien n’empêche un salarié compétent de la quitter (elle devra payer si elle veut le contraindre par une clause de non concurrence). Il en résulte, pour l’organisation et la gestion, des contraintes sur lesquelles nous reviendrons.

De la consommation à l’utilisation

La théorie néoclassique a pu faire croire que la production est achevée lorsqu'un bien sortant de l’usine est placé dans un stock où il attend d’être vendu. Elle se prête cependant à une interprétation plus profonde : le produit véritable étant la satisfaction des besoins du consommateur, la production ne s’achève qu’entre ses mains, lorsque son utilité est accrue par la possession ou l'utilisation d’un produit qui le satisfait.

« Produire » n’est donc pas seulement ajouter une unité du bien au stock destiné à la vente ; c’est aussi commercialiser le produit puis suivre sa consommation, comme le fait le concessionnaire qui entretient et répare les automobiles, afin qu’il procure au consommateur l’utilité pour laquelle il a été conçu.

De ce point de vue le produit n’est plus seulement un bien (voiture, téléphone mobile, machine à laver, etc.) mais l’assemblage formé par ce bien et les services nécessaires à sa pleine utilité. Il ne faut pas être dupe de l'évidence physique du bien.

Certains produits sont destinés à être détruits par la consommation : c’est le cas des aliments, peut-être aussi des vêtements. Mais la plupart étant destinés à être utilisés, leur consommateur est en fait un utilisateur.

On a pu croire naguère ce fait négligeable : une fois le bien acheté, le consommateur n’avait qu’à se débrouiller pour s’en servir. L’informatisation introduit un autre point de vue. Le bien est muni de microprocesseurs et de logiciels qui permettent à l’entreprise de suivre son utilisation, connaître les besoins de l’utilisateur et personnaliser son offre (ou, plutôt, segmenter le marché selon la diversité des besoins qui s’y manifestent, puis offrir des variétés du produit répondant à chaque segment).

L’exigence de qualité porte, de plus en plus, sur les services que le produit comporte : facilité de la prise de commande, rapidité de la livraison, règlement commode des éventuels incidents, informations claires, maintenance efficace, etc.

La tarification, qui se résumait naguère au prix d’achat, se diversifie en location forfaitaire ou à l’usage, segmentation tarifaire (yield management), bouquet de services, etc. Le souci de l’environnement incite à condamner des pratiques comme l’obsolescence programmée, et à réclamer que l’entreprise assure la continuité du service en remplaçant et recyclant les biens devenus obsolescents.

Stratégie patrimoniale

La théorie néoclassique n’a pas ignoré l’innovation mais il lui est difficile de la concevoir. Par contre l'innovation se conçoit aisément dans la théorie patrimoniale car le patrimoine évolue en assimilant la conception des produits nouveaux.

Sous le régime de la concurrence monopolistique l’entreprise doit conquérir un monopole temporaire en offrant la variété d’un produit qui satisfait un segment des besoins. L’« équilibre » auquel conduit ce régime est bouillonnant, le monopole conquis par un produit nouveau étant bientôt concurrencé. Cela incite l’entreprise d’abord à réduire son prix, ce qui transfère à l’utilisateur tout le bénéfice de l’innovation, puis à innover de nouveau.

La régulation de l’économie patrimoniale est essentiellement celle de la durée du monopole temporaire : cette durée ne doit pas être trop longue, car l’entreprise s’endormirait sur ses lauriers, ni trop courte car l’innovation serait découragée. Ce n’est pourtant pas ainsi que les régulateurs procèdent aujourd’hui : estimant que seule la concurrence est efficace, ils font tout pour susciter immédiatement un concurrent à l’innovateur.

L’entrepreneur a aussi pour priorité de former et maintenir le capital de compétence de ses salariés. L’entreprise fait émerger le « cerveau d’œuvre » en facilitant la symbiose du cerveau individuel avec la ressource informatique, et elle organise la synergie des cerveaux d’œuvre en suscitant l’adhésion à des valeurs partagées (qualité du produit, satisfaction du client, honneur professionnel) et non plus en émettant les injonctions qui assuraient naguère la discipline de la main d’œuvre.

Cela suppose que l’entreprise délègue à chaque agent la légitimité (droit à l’écoute, droit à l’erreur) qui répond aux responsabilités dont elle le charge. La fonction de commandement ne peut donc plus s’exercer selon le modèle hiérarchique, qui réserve la légitimité au sommet de l’entreprise et ne la délègue, de façon parcimonieuse, qu’aux seuls dirigeants et managers.

La concurrence monopolistique est un régime violent car les entreprises luttent pour rentabiliser leur patrimoine. L’entrepreneur doit se protéger contre les prédateurs qui tentent de l’espionner pour copier ses techniques et deviner ses projets, de lui dérober des parts de marché en corrompant les acheteurs, de débaucher ses agents les plus compétents, etc.

Politique patrimoniale

L’économie patrimoniale, brassée et renouvelée par l’innovation, ne respecte pas les hypothèses sur lesquelles David Ricardo s’est appuyé pour démontrer l’efficacité du libre échange, car elles supposent donné et fixe l’état des techniques dans chaque nation.

La politique des États doit plutôt s’inspirer de Friedrich List qui, au XIXe siècle, a montré que le libre échange ne pourrait que perpétuer la domination de l’industrie britannique2 : pour pouvoir développer son industrie naissante l’Allemagne a dû la protéger.

Dans la lutte pour la maîtrise des infrastructures, composants, techniques et compétences essentielles, les États ne doivent pas être naïfs. Ils doivent savoir préserver leurs acquis, conquérir des positions et défendre leurs intérêts dans les lieux stratégiques où se normalisent les protocoles, se définissent les règlements, se négocient et se formalisent les contrats.

L’impasse néolibérale

Il ne faut pas confondre la doctrine néolibérale avec la théorie néoclassique ni avec le libéralisme tout court. L’amorce de cette doctrine est un essai publié par Friedrich Hayek en 19443 et selon lequel le socialisme serait, malgré son aspect « humaniste », le premier pas vers le totalitarisme.

La doctrine néolibérale, disséminée par le lobbying militant d’Antony Fisher et enrichie par les successeurs d’Hayek, est devenue vers la fin des années 1970, sous Ronald Reagan et Margaret Thatcher, la référence des politiques américaine et britannique. Elle a ensuite été adoptée par l’Europe.

Cette doctrine se condense en trois principes censés résumer la science économique et répondre à toutes les situations : concurrence parfaite, libre échange, création de valeur pour l’actionnaire.

Cependant la concurrence parfaite et le libre échange sont, nous l’avons vu, contraires à l’économie patrimoniale que l’informatisation a fait émerger. Il y a là un paradoxe, car le triomphe de la doctrine néolibérale a été contemporain des débuts de l’informatisation.

Diverses explications s’offrent à l’esprit :
  • il se peut que ce soit une coïncidence due au hasard ;
  • que les intuitions, affolées par un changement soudain de perspective, se soient ruées au rebours de l’orientation la plus judicieuse ;
  • qu’en l’attente de l’expérience qui permettrait d’y voir clair il ait été jugé nécessaire de laisser jouer la sélection naturelle ;
  • enfin, qu’un calcul trop habile ait incité à promouvoir des règles auxquelles seuls des naïfs se soumettraient tandis que les puissants, mieux avertis, sauraient s’en affranchir.
La catastrophe ultérieure de l’économie soviétique et de celles qui se sont inspirées de son exemple a montré que Hayek avait eu raison de critiquer l’organisation centralisée qu’entraîne la « propriété collective des moyens de production ». Mais sa critique, proposant l’individualisme comme seule alternative, a visé par ricochet l'organisation de l'entreprise et provoqué, de façon paradoxale, la disparition de l’entrepreneur.

Si l’entreprise baigne dans un marché qui lui est extérieur, son intérieur est organisé. Introduire le marché et la concurrence dans l’entreprise, c’est détruire l’efficacité que procure l’orientation et la coordination stratégique des initiatives individuelles.

Par ailleurs Milton Friedman4 a affirmé que les prix contenaient toute l’information nécessaire non seulement pour évaluer les produits qui s’échangent sur le marché, ce qui est raisonnable, mais aussi pour évaluer les actifs patrimoniaux. Négligeant le caractère ambigu et instable du prix de ces actifs, il en a déduit que la valeur d’une entreprise était correctement représentée par sa capitalisation boursière.

Dès lors l’entrepreneur pouvait être remplacé par le dirigeant, agent des actionnaires, voué à la « création de valeur » à leur seul profit et télécommandé par eux tout comme le directeur d’une entreprise soviétique était télécommandé par le Gosplan.

Les économistes ont développé une théorie de l’agence5 qui explore la « relation principal-agent » entre les actionnaires et le dirigeant, et dont les concepts clés sont « information asymétrique », « incitation »,« aléa moral », « antisélection », etc. Cette théorie éclaire certaines situations mais ignore celle de l’entrepreneur qui doit conquérir un monopole temporaire pour valoriser le patrimoine de son entreprise.

Cet entrepreneur ne peut pas être, comme l'est le dirigeant, un pantin dont les actionnaires tirent les ficelles : il lui faut en effet tenir compte de l’évolution des techniques, de la concurrence et de la réglementation ; arbitrer entre les divers projets que présentent les directions ; anticiper les besoins des clients ; écouter les experts sans se laisser enfermer dans leurs spécialités ; conforter la compétence des agents, se défendre contre les prédateurs, etc.

Les comportements induits par la doctrine néolibérale chez les politiques, chez les régulateurs et dans les entreprises sont un des principaux obstacles sur le chemin vers l’iconomie, économie numérique parvenue à l’efficacité.

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Complément

Un de mes amis, curieux des choses de l’économie sans avoir été formé en économiste, m’a envoyé des questions que je reproduis ci-dessous en caractères gras. Cet échange forme un complément qui pourra intéresser certains lecteurs.

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Le texte manque d'explications pour les non initiés. Commençons par cette phrase : le régime de concurrence parfaite ne peut s’établir sur le marché d'un produit que quand le rendement d’échelle est décroissant. J'imagine que c'est un résultat classique en économie. As-tu des références à citer, peux-tu renvoyer vers un de texte qui en donne la démonstration ?

La démonstration se trouve dans les Eléments de théorie "iconomique" , p. 9-10. L'une des conditions nécessaires de la concurrence parfaite est que le rendement d'échelle de la production soit décroissant. Si cette condition n’est pas remplie l'équilibre de concurrence parfaite ne peut pas s'établir et ce régime n'est donc pas optimal.

Autre passage : la théorie néoclassique a pu faire croire que la production est achevée lorsqu'un bien sortant de l’usine est placé dans un stock où il attend d’être vendu. Je le vois chaque fois que j'ouvre un livre d'économie, par exemple le livre d’Ullmo intitulé Le profit : il valorise les produits dès leur fabrication. C'est peut être par souci de simplicité mais ce n'est pas la réalité à cause des stocks et des invendus. Il serait intéressant d'avoir des références sur ce que tu cites.

Je n'ai fait que reproduire là une opinion trop courante.

Autre passage qui mériterait plus d'explications : La théorie néoclassique n’a pas ignoré l’innovation mais il lui est difficile de la concevoir. Par contre l'innovation se conçoit aisément dans la théorie patrimoniale car le patrimoine évolue en assimilant la conception des produits nouveaux. Pourquoi l'innovation n'est pas bien conçue dans la théorie néo-classique ? Pourquoi l’économie patrimoniale assimile-t-elle mieux la conception de produits nouveaux ?

La théorie néoclassique est une théorie de la valeur : elle a pour but d'expliquer comment les prix s'établissent sur un marché. Elle suppose données les entreprises et les techniques, ainsi que les revenus et besoins des consommateurs. Partant de ce postulat elle explique comment un système de prix peut simultanément (1) équilibrer l'offre et la demande de chaque produit, (2) guider les échanges vers un "optimum de Pareto".

Cette théorie a supplanté les théories de la valeur-travail de Smith et Ricardo, de la valeur-utilité de Say, de la valeur-rareté, etc. Elle constitue donc un apport crucial à la science économique. Mais comme elle considère une économie dont l'état technique est donné, elle n'est pas faite pour expliquer comment les techniques se créent ni comment les entreprises naissent, évoluent et meurent.

Certains économistes s'enferment dans la théorie néoclassique : ils postulent que le monde réel est conforme à ses axiomes et croient donc à l'exactitude de ses théorèmes, sans vérifier si la situation présente du monde réel est conforme aux axiomes de la théorie.

D’autres sont conscient de ses limites : ils savent que les techniques évoluent ("progrès technique"), que des entreprises se créent, que de nouveaux produits apparaissent, etc. Mais pour pouvoir penser ces phénomènes il doivent sortir du modèle néoclassique, qui ne les éclaire pas, en y introduisant des compléments ad hoc qui n'expliquent rien comme le "résidu de Solow" selon lequel le progrès technique serait "une manne tombée du ciel".

La théorie de l'iconomie permet par contre de modéliser l'innovation (voir Éléments de théorie "iconomique", p. 32-38). En effet lorsque la fonction de coût se réduit à un coût fixe le marché obéit au régime de la concurrence monopolistique, qui implique une diversification qualitative de chaque produit : la concurrence porte essentiellement sur la qualité du produit. Or il n'existe pas de limite à la croissance en qualité (alors qu'il en existe une à la croissance en quantité) : le champ ouvert à l'innovation étant alors illimité, le moteur de l'innovation peut tourner à plein régime.

Un passage pourrait être plus détaillé : la concurrence monopolistique est un régime violent car les entreprises luttent pour rentabiliser leur patrimoine. Pourquoi est-ce plus violent en concurrence monopolistique qu’en concurrence parfaite ?

Plus l'économie est capitalistique, plus elle est violente : d'une part parce que la façon la plus efficace pour s'enrichir rapidement, c'est de s'emparer d'un patrimoine que l'on vendra ensuite au détail ; d'autre part parce que le risque d'entreprendre est d'autant plus élevé qu'il a fallu dépenser davantage (accumuler plus de capital) avant de pouvoir commencer à produire.

La phrase suivante me semble polémique, je m’interroge sur ce qu’elle apporte à ta démonstration : cet entrepreneur ne peut pas être, comme l'est le dirigeant, un pantin dont les actionnaires tirent les ficelles. Je pense que les actionnaires qui veulent rentabiliser leurs placements ont une part importante dans l'efficacité du capitalisme, et qu’ils savent que tuer une entreprise ne leur permettrait pas de gagner de l'argent sur le long terme car tout le monde y perd.

La plupart des actionnaires ne se soucient ni des techniques qu’utilise l'entreprise, ni des besoins de ses clients, ni des compétences de ses agents. Tout ce qu'ils veulent, c'est percevoir des dividendes et, si possible, bénéficier d'une plus-value. Certains actionnaires, se comportant en véritables entrepreneurs, s'impliquent activement dans le destin de l'entreprise, mais ceux-là sont très rares et ce n'est pas le cas par exemple des fonds de pension.

Tuer une entreprise ne fait certes pas gagner de l'argent à long terme mais cela peut être très rentable à court terme, et cette rentabilité-là peut suffire aux actionnaires. La démonstration se trouve dans Prédation et prédateurs, p. 41-43.

Opposer les dirigeants aux entrepreneurs introduit un débat qui n'est pas au cœur de ton article, me semble-t-il.

Si, c'est important. Si le dirigeant est l'agent des actionnaires, le résultat sera le même qu'en URSS où le directeur d'une usine était l'agent du Gosplan : l'entreprise va vers la catastrophe quand son orientation stratégique est dictée par des personnes qui ignorent tout de son activité courante et pratique.
____
1 Claude Rochet et Michel Volle, L’intelligence « iconomique », De Boeck, 2015.
2 Friedrich List, Das nationale System der politischen Ökonomie, 1841.
3 Friedrich Hayek, The Road to Serfdom, University of Chicago Press, 1944.
4 Milton Friedman, Capitalism and Freedom, University of Chicago Press, 1962.
5 Jean Tirole, Économie du bien commun, PUF, 2016.

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