(Publié par Pierre-Olivier Beffy, Jean-Marc Béguin, Pierre-Jean Benghozi, Laurent Bloch, Hugues Chevalier, Vincent Lorphelin et Michel Volle dans la Revue d'économie industrielle n°165.)
Le mot « informatique » allie l'« automate » à l'« information », cette dernière procurant à qui sait l'interpréter la forme intérieure qui lui permet d'agir1. Le mot « informatisation » désigne la dynamique du déploiement de l'informatique et de ses conséquences dans une entreprise, une institution ou un pays. À ces deux mots, l'usage a substitué « numérique » au risque d'un appauvrissement que nous éviterons en lui donnant pour contenu celui des mots qu'il a supplantés.
Le numérique fait l'objet de jugements opposés. Nicholas Carr estime qu'il n'a aucune importance (Carr, 2003) car comme les entreprises en tirent toutes également parti il n'aurait aucune incidence sur leur compétitivité. Robert Gordon, héritier du paradoxe de Solow2, pense qu'il ne procurera jamais un gain de productivité comparable à celui qu'ont apporté la mécanisation et la maîtrise de l'énergie (Gordon, 2012).
D'autres auteurs ne partagent pas ce pessimisme. Au MIT, Erik Brynjolfsson soutient que le numérique transforme en profondeur l'économie et dit que si ses effets sur la productivité semblent faibles, c'est en partie parce que les instruments de mesure sont devenus inadéquats, en partie parce que l'économie est en transition et que les institutions ne se sont pas encore adaptées au numérique (Brynjolfsson et McAfee, 2011).
En France, des chercheurs encouragés par le CIGREF3 ont produit une série d'études sur les effets du numérique dans les entreprises (Bounfour, 2016) et l'école de l'économie de la régulation voit dans le numérique un facteur déterminant de l'évolution des institutions (Boyer, 2018).
Les techniques du numérique (langages de programmation, algorithmes, systèmes d'exploitation, systèmes d'information, sécurité informatique, etc.) font l'objet d'une abondante littérature destinée à des spécialistes. La plume des essayistes a été tentée par certaines d'entre elles, notamment par l'« intelligence artificielle » qui attise dans le public des espoirs et des craintes également extrêmes.
Nous avons nommé iconomie (du grec eikon, image, et nomos, organisation) le modèle d'une économie numérique par hypothèse efficace (Saint Étienne, 2013 ; Volle, 2014 ; Rochet et Volle, 2015). Ce modèle n'est ni une représentation de l'économie présente ni une prévision de l'économie future : c'est un repère placé à l'horizon du temps. Comme tout modèle, il est schématique et ce schéma est fait pour orienter les intentions vers l'action judicieuse.