L'institut de l'iconomie a donné le 26 novembre 2014 une conférence sur la "révolution digitale" devant l'association X-Mines Consult.
Voici le lien vers la vidéo : http://www.iconomie.org/conference-xmc-la-revolution-digitale/.
mardi 30 décembre 2014
samedi 27 décembre 2014
Que dire : « numérique », « digital », « informatique » ?
La conversation entre Vincent Lorphelin et Stanislas de Bentzmann qu'a diffusée récemment Xerfi Canal m'a éclairé sur la portée du mot « numérique ».
Le « numérique », dit M. de Bentzmann, c'est « la transformation des usages, des processus. On sort de l'entreprise pour entrer chez les clients, les partenaires, les collaborateurs. La technique ouvre des portes dont les consommateurs et les salariés se saisissent ».
Pris à la lettre « numérique » désigne le codage des documents (son, texte, image, vidéo, programme, etc.) avec des zéros et des uns, qui associe à chaque document un (très grand) nombre entier noté en binaire : pour le codage du son, par exemple, voir transmission analogique et transmission numérique. L'anglicisme « digital », qui remplace « nombre » par « chiffre », ne signifie rien de plus.
Mais puisque l'usage attribue désormais à « numérique » le sens que lui donne M. de Bentzmann, acceptons le et voyons ce que nous pouvons en faire. Il s'agit « des nouveaux usages, des nouvelles façons de travailler et de consommer, des nouveaux modèles d'affaire, des nouvelles formes de concurrence », que l'informatique a rendus possibles. Le « numérique », c'est donc l'ensemble des conséquences de l'informatisation. L'informatique est sa cause matérielle.
Ce point de vue est légitime : l'informatisation ayant ouvert des possibles qui offrent à l'action un nouveau continent, il s'agit d'acquérir les savoir-faire et savoir-vivre qui permettront d'en tirer parti. Tout le monde est invité à participer à cette aventure : les consommateurs, les salariés, les informaticiens, les stratèges des entreprises et de la politique. Le continent que l'on envisage ainsi est celui qui est ouvert aujourd'hui par les techniques disponibles, et auxquelles il s'agit de s'adapter au mieux.
S'il s'agit cependant de penser non seulement la situation actuelle, mais l'évolution qui nous y a conduits et, en la prolongeant, la perspective du futur que l'on nomme « prospective », alors on ne peut plus supposer que les « technologies » auquel il convient de s'adapter soient stables ni même définies avec précision : elles ont évolué et elles évolueront encore, selon une dynamique qui les entrelace avec leurs usages, et pour pouvoir penser cette dynamique il faut examiner l'histoire des techniques – celle par exemple des langages de programmation, du traitement de texte, du tableur, de l'Internet, etc. : voir comment ils ont été inventés, perfectionnés, rodés au contact de leurs utilisateurs, connaître les échecs et les succès des pionniers, les résistances que les innovations ont rencontrées, et comment ces résistances ont fini par céder. Cela permet de sortir de l'illusion, si répandue, qui fait croire que ce qui existe aujourd'hui a toujours existé et perdurera à l'identique.
La technique et l'usage obéissent à deux logiques différentes. L'usage se déploie dans l'espace du possible, tel que la technique l'offre hic et nunc. Cet espace est donc la condition nécessaire de son existence - et non la condition suffisante, car la technique ne détermine pas l'usage dans tous ses détails et d'ailleurs il se peut que des usages possibles ne voient pas le jour. Réciproquement, l'évolution de la technique est orientée par une anticipation de l'usage (voir Steven Levy, Hackers, et Michael Hiltzik, Dealers of Lightning) : la technique se développe à la rencontre entre les besoins anticipés, la nature physique qui offre ses matériaux, et la logique. Ajoutons que les usages se développent à partir des usages antérieurs, qu'ils transforment, et qu'il en est de même de la technique.
Confronté à une telle dynamique le raisonnement doit embrasser les dialectiques de l'invention et de l'innovation, de la technique et des usages, du possible et du pratique, de la cause matérielle et de ses conséquences : il acquiert ainsi l'intuition nécessaire pour se représenter le futur dans ses grandes lignes, s'orienter en conséquence, définir une stratégie et une politique.
Alors que « numérique » convient, admettons le, pour désigner l'adaptation à la situation technique actuelle, tâche déjà passablement compliquée, le mot qui convient pour désigner cette dynamique est « informatisation ». Il connote en effet tout à la fois l'évolution du possible technique et celle du couple que forment l'être humain et l'automate programmable, tel qu'il s'organise dans les institutions et la vie personnelle de chacun.
Je comprends pourquoi « numérique » m'a longtemps été antipathique. Je ne peux en effet comprendre la situation actuelle que si je la situe dans une histoire et la prolonge vers un futur : le mot « informatisation » m'est donc nécessaire. Mais j'admets que « numérique » puisse convenir à ceux dont la priorité est l'adaptation des comportements aux possibilités qui existent hic et nunc, tâche évidemment utile.
Le « numérique », dit M. de Bentzmann, c'est « la transformation des usages, des processus. On sort de l'entreprise pour entrer chez les clients, les partenaires, les collaborateurs. La technique ouvre des portes dont les consommateurs et les salariés se saisissent ».
Pris à la lettre « numérique » désigne le codage des documents (son, texte, image, vidéo, programme, etc.) avec des zéros et des uns, qui associe à chaque document un (très grand) nombre entier noté en binaire : pour le codage du son, par exemple, voir transmission analogique et transmission numérique. L'anglicisme « digital », qui remplace « nombre » par « chiffre », ne signifie rien de plus.
Mais puisque l'usage attribue désormais à « numérique » le sens que lui donne M. de Bentzmann, acceptons le et voyons ce que nous pouvons en faire. Il s'agit « des nouveaux usages, des nouvelles façons de travailler et de consommer, des nouveaux modèles d'affaire, des nouvelles formes de concurrence », que l'informatique a rendus possibles. Le « numérique », c'est donc l'ensemble des conséquences de l'informatisation. L'informatique est sa cause matérielle.
Ce point de vue est légitime : l'informatisation ayant ouvert des possibles qui offrent à l'action un nouveau continent, il s'agit d'acquérir les savoir-faire et savoir-vivre qui permettront d'en tirer parti. Tout le monde est invité à participer à cette aventure : les consommateurs, les salariés, les informaticiens, les stratèges des entreprises et de la politique. Le continent que l'on envisage ainsi est celui qui est ouvert aujourd'hui par les techniques disponibles, et auxquelles il s'agit de s'adapter au mieux.
S'il s'agit cependant de penser non seulement la situation actuelle, mais l'évolution qui nous y a conduits et, en la prolongeant, la perspective du futur que l'on nomme « prospective », alors on ne peut plus supposer que les « technologies » auquel il convient de s'adapter soient stables ni même définies avec précision : elles ont évolué et elles évolueront encore, selon une dynamique qui les entrelace avec leurs usages, et pour pouvoir penser cette dynamique il faut examiner l'histoire des techniques – celle par exemple des langages de programmation, du traitement de texte, du tableur, de l'Internet, etc. : voir comment ils ont été inventés, perfectionnés, rodés au contact de leurs utilisateurs, connaître les échecs et les succès des pionniers, les résistances que les innovations ont rencontrées, et comment ces résistances ont fini par céder. Cela permet de sortir de l'illusion, si répandue, qui fait croire que ce qui existe aujourd'hui a toujours existé et perdurera à l'identique.
La technique et l'usage obéissent à deux logiques différentes. L'usage se déploie dans l'espace du possible, tel que la technique l'offre hic et nunc. Cet espace est donc la condition nécessaire de son existence - et non la condition suffisante, car la technique ne détermine pas l'usage dans tous ses détails et d'ailleurs il se peut que des usages possibles ne voient pas le jour. Réciproquement, l'évolution de la technique est orientée par une anticipation de l'usage (voir Steven Levy, Hackers, et Michael Hiltzik, Dealers of Lightning) : la technique se développe à la rencontre entre les besoins anticipés, la nature physique qui offre ses matériaux, et la logique. Ajoutons que les usages se développent à partir des usages antérieurs, qu'ils transforment, et qu'il en est de même de la technique.
Confronté à une telle dynamique le raisonnement doit embrasser les dialectiques de l'invention et de l'innovation, de la technique et des usages, du possible et du pratique, de la cause matérielle et de ses conséquences : il acquiert ainsi l'intuition nécessaire pour se représenter le futur dans ses grandes lignes, s'orienter en conséquence, définir une stratégie et une politique.
Alors que « numérique » convient, admettons le, pour désigner l'adaptation à la situation technique actuelle, tâche déjà passablement compliquée, le mot qui convient pour désigner cette dynamique est « informatisation ». Il connote en effet tout à la fois l'évolution du possible technique et celle du couple que forment l'être humain et l'automate programmable, tel qu'il s'organise dans les institutions et la vie personnelle de chacun.
Je comprends pourquoi « numérique » m'a longtemps été antipathique. Je ne peux en effet comprendre la situation actuelle que si je la situe dans une histoire et la prolonge vers un futur : le mot « informatisation » m'est donc nécessaire. Mais j'admets que « numérique » puisse convenir à ceux dont la priorité est l'adaptation des comportements aux possibilités qui existent hic et nunc, tâche évidemment utile.
Libellés :
Informatisation
Raymond Aron, Le marxisme de Marx, de Fallois, 2002
J'ai connu un penseur : mon père. Sa pensée était à la fois ferme et souple. Il n'était certes pas commode mais il soumettait instantanément ses idées au joug de l'expérience ou à la contrainte d'une démonstration. Cette expérience me permet de reconnaître un penseur, que ce soit par la lecture ou en face à face, et de le distinguer de la foule des farceurs. Raymond Aron et Karl Marx sont des penseurs, ce livre décrit leur rencontre.
Aron a étudié Marx avec passion. Il n'était pas marxiste mais il avait reconnu chez Marx une orientation proche de la sienne : considérer la société comme un être vivant que l'on situe dans son histoire et dont on s'efforce d'élucider la dynamique. Marx était ainsi pour lui un de ces rares interlocuteurs avec lesquels la conversation est véritablement utile.
Bien des choses le contrariaient cependant : la brutalité du polémiste, l'enfermement de l'économiste dans la valeur-travail de Ricardo, l'ambiguïté d'une pensée qui, étant inachevée, se prêtera plus tard à des détournements et en particulier à celui, outrageusement mécaniste, commis par Lénine, Trotsky et Staline. Si Aron a admiré le génie du penseur, il a déploré ce que ses prétendus héritiers ont fait de sa pensée.
Aron a étudié Marx avec passion. Il n'était pas marxiste mais il avait reconnu chez Marx une orientation proche de la sienne : considérer la société comme un être vivant que l'on situe dans son histoire et dont on s'efforce d'élucider la dynamique. Marx était ainsi pour lui un de ces rares interlocuteurs avec lesquels la conversation est véritablement utile.
Bien des choses le contrariaient cependant : la brutalité du polémiste, l'enfermement de l'économiste dans la valeur-travail de Ricardo, l'ambiguïté d'une pensée qui, étant inachevée, se prêtera plus tard à des détournements et en particulier à celui, outrageusement mécaniste, commis par Lénine, Trotsky et Staline. Si Aron a admiré le génie du penseur, il a déploré ce que ses prétendus héritiers ont fait de sa pensée.
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Philosophie
mardi 23 décembre 2014
Les études économiques en support des nouveaux services
(Texte de la conférence du 10 avril 2014, publié dans le n° 19 des cahiers de l'Association pour l'Histoire des Télécommunications et de l'Informatique).
J'arrive au CNET1 en 1983 à l'invitation de François du Castel pour y monter une « mission d'études économiques ». Cette mission devait éclairer la perspective de la diversification des services sur les réseaux télécoms en coopération avec l'équipe de Patrice Flichy qui, elle, menait des recherches sur la sociologie des usages.
Le service téléphonique avait en effet pratiquement atteint sa pénétration finale après l'effort d'équipement lancé à partir de 1974. L'énergie acquise par la DGT dans cette période de vive croissance se cherchait de nouveaux débouchés : ce sera le Minitel, puis le Plan Câble.
Je venais de l'INSEE et ne connaissais rien aux télécoms. Il a donc fallu que je me mette à l'école comme un bizut en lisant des livres, en écoutant les chercheurs du CNET et surtout les explications que me donnait généreusement du Castel.
J'ai eu bien du mal à comprendre la diversité des télécoms : le codage numérique du signal vocal, le modèle en couches, les règles d'ingénierie et la hiérarchie des commutateurs du réseau général, l'architecture de Transpac, le protocole Ethernet sur les réseaux locaux d'établissement, etc. Il faudra je fasse un cours sur les techniques des télécoms à l'ENSPTT pour assimiler enfin leur vocabulaire, leurs principes et leurs méthodes. Je suis étonné quand je vois un inspecteur des finances accepter de prendre la présidence du gigantesque automate qu'est le réseau télécom sans éprouver apparemment la moindre inquiétude...
J'arrive au CNET1 en 1983 à l'invitation de François du Castel pour y monter une « mission d'études économiques ». Cette mission devait éclairer la perspective de la diversification des services sur les réseaux télécoms en coopération avec l'équipe de Patrice Flichy qui, elle, menait des recherches sur la sociologie des usages.
Le service téléphonique avait en effet pratiquement atteint sa pénétration finale après l'effort d'équipement lancé à partir de 1974. L'énergie acquise par la DGT dans cette période de vive croissance se cherchait de nouveaux débouchés : ce sera le Minitel, puis le Plan Câble.
Je venais de l'INSEE et ne connaissais rien aux télécoms. Il a donc fallu que je me mette à l'école comme un bizut en lisant des livres, en écoutant les chercheurs du CNET et surtout les explications que me donnait généreusement du Castel.
J'ai eu bien du mal à comprendre la diversité des télécoms : le codage numérique du signal vocal, le modèle en couches, les règles d'ingénierie et la hiérarchie des commutateurs du réseau général, l'architecture de Transpac, le protocole Ethernet sur les réseaux locaux d'établissement, etc. Il faudra je fasse un cours sur les techniques des télécoms à l'ENSPTT pour assimiler enfin leur vocabulaire, leurs principes et leurs méthodes. Je suis étonné quand je vois un inspecteur des finances accepter de prendre la présidence du gigantesque automate qu'est le réseau télécom sans éprouver apparemment la moindre inquiétude...
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Economie,
France Telecom
mercredi 10 décembre 2014
Lassitude
« Il nous faudrait un projet », vous dit-on. Vous en proposez un. « Il nous faudrait un projet », vous dit-on encore. Votre proposition n'a pas été entendue. On ne vous dit pas que ce projet n'est pas le bon, ni qu'il faudrait l'améliorer, car on n'y entre pas : on l'ignore. Vous souhaiteriez une discussion, on vous la refuse.
Vous dites « il faut s'orienter vers l'iconomie ». On vous répond « qu'est-ce que l'iconomie ? ». Vous énoncez une définition, la même personne demande encore « qu'est-ce que l'iconomie ? ». Vous répétez la définition, et de nouveau : « qu'est-ce que l'iconomie? », etc.
Après avoir dit « il nous faudrait un projet », on ajoute « nous n'avons pas besoin d'une théorie : ce qu'il faut, c'est avancer à petits pas dans la bonne direction ». Mais comment trouver « la bonne direction » si l'on n'a pas examiné la situation et tiré au clair des relations de cause à effet – ce qui, qu'on le veuille ou non, constitue une théorie ?
Ces personnes qui vous interrogent voudraient bien avoir un projet, une orientation, mais pas au point de faire l'effort d'entendre, de lire, de réfléchir, pas au point de faire l'effort de penser. La situation n'est apparemment pas encore assez dramatique.
Il ne faut pas croire qu'une démonstration puisse convaincre, qu'une définition puisse se partager : cela n'est vrai que pendant les cours de maths, et encore. Dans la vraie vie, seuls les démagogues se font entendre car ils savent, eux, comment il convient de répondre à des interrogations sans objet, des inquiétudes sans sujet, de vagues désirs sans urgence.
Tout cela me rappelle un sketch d'Anne Roumanoff : un enfant pose des questions à sa maman et chaque réponse est suivie d'un nouveau « pourquoi ? » jusqu'à ce que Maman, excédée, réponde « Merde ! ».
Vous dites « il faut s'orienter vers l'iconomie ». On vous répond « qu'est-ce que l'iconomie ? ». Vous énoncez une définition, la même personne demande encore « qu'est-ce que l'iconomie ? ». Vous répétez la définition, et de nouveau : « qu'est-ce que l'iconomie? », etc.
Après avoir dit « il nous faudrait un projet », on ajoute « nous n'avons pas besoin d'une théorie : ce qu'il faut, c'est avancer à petits pas dans la bonne direction ». Mais comment trouver « la bonne direction » si l'on n'a pas examiné la situation et tiré au clair des relations de cause à effet – ce qui, qu'on le veuille ou non, constitue une théorie ?
Ces personnes qui vous interrogent voudraient bien avoir un projet, une orientation, mais pas au point de faire l'effort d'entendre, de lire, de réfléchir, pas au point de faire l'effort de penser. La situation n'est apparemment pas encore assez dramatique.
Il ne faut pas croire qu'une démonstration puisse convaincre, qu'une définition puisse se partager : cela n'est vrai que pendant les cours de maths, et encore. Dans la vraie vie, seuls les démagogues se font entendre car ils savent, eux, comment il convient de répondre à des interrogations sans objet, des inquiétudes sans sujet, de vagues désirs sans urgence.
Tout cela me rappelle un sketch d'Anne Roumanoff : un enfant pose des questions à sa maman et chaque réponse est suivie d'un nouveau « pourquoi ? » jusqu'à ce que Maman, excédée, réponde « Merde ! ».
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iconomie
vendredi 5 décembre 2014
Des vieilles applications aux nouveaux processus
(Contribution à l'ouvrage de Jean Rohmer, Des tabulatrices aux tablettes, CIGREF et Nuvis, 2014.)
Introduction
L'informatisation s'est longtemps focalisée sur les « applications », programmes informatiques qui s'appuient sur la définition des données et sur des algorithmes. L'« approche par les processus », qui embrasse à la fois l'informatisation et l'organisation du travail humain, s'est imposée progressivement dans les années 1990.
Elle concrétise un alliage du cerveau humain et de l'automate qui fait émerger progressivement une économie et même une société nouvelles. Les entreprises commettent beaucoup d'erreurs mais, contrairement aux politiques, elles ne peuvent pas échapper longtemps à la pression physique de la nécessité. Elles constituent donc le laboratoire dans lequel cet alliage pourra par tâtonnement trouver sa pleine efficacité – mais il n'est pas sûr que cela se passera en France.
Application et processus
Une « application », c'est un programme qui reçoit des données (saisies manuellement ou provenant d'autres applications) puis leur applique un traitement pour fournir des résultats. Ainsi un programme de paie, convenablement alimenté, fournit des feuilles de paie, un programme de comptabilité fournit des comptes à jour. Les outils du travail personnel (traitement de texte, tableur) sont eux aussi des applications.
Le mot « processus » résume l'expression « processus de production » : il désigne l'ensemble des opérations qui, dans une entreprise, permettent d'élaborer un produit à partir de matières premières ou produits semi-finis.
À tout produit correspond le processus qui permet de le produire. Les processus existent donc depuis le néolithique et le concept n'a rien de nouveau. Cependant un processus peut être plus ou moins bien organisé. S'il est gouverné par des habitudes et traditions implicites son efficacité sera presque toujours médiocre : délais et qualité aléatoires, tâches redondantes, bras morts où s'égarent des travaux inachevés, etc.
La modélisation d'un processus explicite et organise la succession des activités qui contribuent à l'élaboration du produit. Elle permet aussi de contrôler qualité et délais.
L'informatique s'est focalisée au début des années 60 sur des opérations gourmandes en temps et en paperasses : comptabilité, paie, facturation, gestion des stocks, prise de commande. Elle s'est ainsi résumée à quelques grandes applications auxquelles l'entreprise attribuait un nom propre : Frégate à France Telecom, Sabre et Amadeus dans le transport aérien.
L'attention des informaticiens s'est naturellement concentrée sur les algorithmes qui procurent un résultat à partir des données saisies. Mais il est bientôt apparu qu'une même saisie devait pouvoir nourrir plusieurs applications, que le résultat d'une application devait pouvoir en alimenter une autre : la normalisation des bases de données et l'architecture des systèmes d'information ont dans les années 70 répondu à l'exigence de cohérence qui en résultait.
Dans les années 80 la dissémination des micro-ordinateurs et des réseaux locaux – puis dans les années 90 celle de l'Internet – a fait franchir un pas supplémentaire. Avec la documentation électronique et la messagerie il devenait en effet possible d'informatiser le parcours d'un processus en transférant d'un poste de travail au suivant les documents où s'inscrit l'élaboration du produit. À chacune de ces étapes l'informatique a dû s'enrichir de spécialités nouvelles tandis que des spécialités auparavant prestigieuses étaient repoussées au second rang : cela ne s'est passé ni sans drames, ni sans conflits.
Introduction
L'informatisation s'est longtemps focalisée sur les « applications », programmes informatiques qui s'appuient sur la définition des données et sur des algorithmes. L'« approche par les processus », qui embrasse à la fois l'informatisation et l'organisation du travail humain, s'est imposée progressivement dans les années 1990.
Elle concrétise un alliage du cerveau humain et de l'automate qui fait émerger progressivement une économie et même une société nouvelles. Les entreprises commettent beaucoup d'erreurs mais, contrairement aux politiques, elles ne peuvent pas échapper longtemps à la pression physique de la nécessité. Elles constituent donc le laboratoire dans lequel cet alliage pourra par tâtonnement trouver sa pleine efficacité – mais il n'est pas sûr que cela se passera en France.
Application et processus
Une « application », c'est un programme qui reçoit des données (saisies manuellement ou provenant d'autres applications) puis leur applique un traitement pour fournir des résultats. Ainsi un programme de paie, convenablement alimenté, fournit des feuilles de paie, un programme de comptabilité fournit des comptes à jour. Les outils du travail personnel (traitement de texte, tableur) sont eux aussi des applications.
Le mot « processus » résume l'expression « processus de production » : il désigne l'ensemble des opérations qui, dans une entreprise, permettent d'élaborer un produit à partir de matières premières ou produits semi-finis.
À tout produit correspond le processus qui permet de le produire. Les processus existent donc depuis le néolithique et le concept n'a rien de nouveau. Cependant un processus peut être plus ou moins bien organisé. S'il est gouverné par des habitudes et traditions implicites son efficacité sera presque toujours médiocre : délais et qualité aléatoires, tâches redondantes, bras morts où s'égarent des travaux inachevés, etc.
La modélisation d'un processus explicite et organise la succession des activités qui contribuent à l'élaboration du produit. Elle permet aussi de contrôler qualité et délais.
L'informatique s'est focalisée au début des années 60 sur des opérations gourmandes en temps et en paperasses : comptabilité, paie, facturation, gestion des stocks, prise de commande. Elle s'est ainsi résumée à quelques grandes applications auxquelles l'entreprise attribuait un nom propre : Frégate à France Telecom, Sabre et Amadeus dans le transport aérien.
L'attention des informaticiens s'est naturellement concentrée sur les algorithmes qui procurent un résultat à partir des données saisies. Mais il est bientôt apparu qu'une même saisie devait pouvoir nourrir plusieurs applications, que le résultat d'une application devait pouvoir en alimenter une autre : la normalisation des bases de données et l'architecture des systèmes d'information ont dans les années 70 répondu à l'exigence de cohérence qui en résultait.
Dans les années 80 la dissémination des micro-ordinateurs et des réseaux locaux – puis dans les années 90 celle de l'Internet – a fait franchir un pas supplémentaire. Avec la documentation électronique et la messagerie il devenait en effet possible d'informatiser le parcours d'un processus en transférant d'un poste de travail au suivant les documents où s'inscrit l'élaboration du produit. À chacune de ces étapes l'informatique a dû s'enrichir de spécialités nouvelles tandis que des spécialités auparavant prestigieuses étaient repoussées au second rang : cela ne s'est passé ni sans drames, ni sans conflits.
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lundi 1 décembre 2014
Introduction à la concurrence monopolistique
J'ai étudié la concurrence monopolistique dans les années 1980 pour pouvoir modéliser l'économie que l’informatisation faisait alors émerger.
Pour certains économistes, une expression qui associe « concurrence » et « monopole » semble un oxymore : ils préfèrent dire « concurrence oligopolistique », ce qui risque de leur faire perdre la solidité que la cohérence logique apporte au raisonnement.
Le modèle de l'iconomie (« économie informatisée efficace ») se bâtit en deux phases, l'une convergente et l'autre divergente, qui forment comme les deux moitiés d'un sablier. La première procède par induction : considérant les caractéristiques physiques de l'économie informatisée, elle infère que le marché de la plupart de ses produits obéit au régime de la concurrence monopolistique. La deuxième procède par déduction : prenant ce régime pour acquis, elle infère ses conséquences économiques et, plus largement, anthropologiques.
L'informatisation implique l'automatisation des tâches répétitives : l'essentiel du coût d'un produit se condense dans l'investissement qui est antérieur à la production proprement dite. Pour schématiser cela, on postule que le coût de production se réduit au coût fixe C.
Le coût moyen C/q étant d'autant plus bas que la quantité produite est plus élevée, le rendement d'échelle est croissant. L'entreprise qui détient la part de marché la plus importante peut alors pratiquer un prix plus bas que celui de ses concurrentes et, en principe, s'emparer de la totalité du marché : on dit alors que celui-ci obéit au régime du « monopole naturel ».
Ce n'est pourtant pas le cas même pour les produits fondamentaux de l'économie informatisée : sur le marché des microprocesseurs Intel est concurrencé par AMD, Samsung, etc., sur celui des systèmes d'exploitation Microsoft est concurrencé par Apple, Google, Linux, etc.
L'explication de ce phénomène réside dans une différenciation du produit qui répond à la diversité des besoins des consommateurs : le régime du marché n'est donc pas le monopole naturel, mais la concurrence monopolistique. Nous l'illustrerons en prenant un exemple simple.
Considérons une plage de longueur L où des vacanciers sont répartis selon la densité uniforme σ.
Un marchand de glaces s'installe. Il vend ses glaces au prix p. La consommation d'une glace procure à un vacancier le plaisir U mais l'aller-retour est d'autant plus pénible que la distance d qui le sépare du glacier est plus longue : nous supposons ce désagrément égal à kd.
La satisfaction S que la consommation d'une glace procure à un vacancier est donc :
S = U – p – kd .
Pour certains économistes, une expression qui associe « concurrence » et « monopole » semble un oxymore : ils préfèrent dire « concurrence oligopolistique », ce qui risque de leur faire perdre la solidité que la cohérence logique apporte au raisonnement.
Le modèle de l'iconomie (« économie informatisée efficace ») se bâtit en deux phases, l'une convergente et l'autre divergente, qui forment comme les deux moitiés d'un sablier. La première procède par induction : considérant les caractéristiques physiques de l'économie informatisée, elle infère que le marché de la plupart de ses produits obéit au régime de la concurrence monopolistique. La deuxième procède par déduction : prenant ce régime pour acquis, elle infère ses conséquences économiques et, plus largement, anthropologiques.
* *
L'informatisation implique l'automatisation des tâches répétitives : l'essentiel du coût d'un produit se condense dans l'investissement qui est antérieur à la production proprement dite. Pour schématiser cela, on postule que le coût de production se réduit au coût fixe C.
Le coût moyen C/q étant d'autant plus bas que la quantité produite est plus élevée, le rendement d'échelle est croissant. L'entreprise qui détient la part de marché la plus importante peut alors pratiquer un prix plus bas que celui de ses concurrentes et, en principe, s'emparer de la totalité du marché : on dit alors que celui-ci obéit au régime du « monopole naturel ».
Ce n'est pourtant pas le cas même pour les produits fondamentaux de l'économie informatisée : sur le marché des microprocesseurs Intel est concurrencé par AMD, Samsung, etc., sur celui des systèmes d'exploitation Microsoft est concurrencé par Apple, Google, Linux, etc.
L'explication de ce phénomène réside dans une différenciation du produit qui répond à la diversité des besoins des consommateurs : le régime du marché n'est donc pas le monopole naturel, mais la concurrence monopolistique. Nous l'illustrerons en prenant un exemple simple.
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Considérons une plage de longueur L où des vacanciers sont répartis selon la densité uniforme σ.
Un marchand de glaces s'installe. Il vend ses glaces au prix p. La consommation d'une glace procure à un vacancier le plaisir U mais l'aller-retour est d'autant plus pénible que la distance d qui le sépare du glacier est plus longue : nous supposons ce désagrément égal à kd.
La satisfaction S que la consommation d'une glace procure à un vacancier est donc :
S = U – p – kd .
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dimanche 30 novembre 2014
Notre droite
J'ai beaucoup d'amis à droite. Ils sont certes conservateurs mais avec eux on ne subit pas le « ya qu'à, faut qu'on » hypocrite des gens « de gauche » ni l'inconséquence des trublions. Ils respectent les institutions, ils parlent un français correct, ils sont courtois et attentifs avec les personnes.
Il est ainsi plus utile aujourd'hui de lire Raymond Aron, qui a publié des éditoriaux dans le Figaro, que de lire Jean-Paul Sartre – bon écrivain sans doute, mais dont la pensée a souvent déraillé.
Notre droite, qui forme une moitié de la population française, n'est cependant pas constituée que de ces personnes intelligentes, correctes et cultivées : en votant hier pour celui que les Russes qualifient de « lapin cocaïnomane » elle a accordé une prime à la vulgarité et s'est montrée une fois de plus dupe d'une énergie factice, d'un activisme brouillon, d'un électoralisme forcené.
Oui, électoralisme : j'ai entendu Nicolas Sarkozy dire, lors d'un déjeuner organisé par l'Expansion, « il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt : la seule chose qui compte, en politique, c'est de gagner les élections ».
Le fait est qu'il sait s'y prendre. Mais le virtuose de la bataille électorale restera inévitablement lui-même une fois élu : sa principale préoccupation ne sera pas de diriger un parti ni un pays, mais de gagner l'élection suivante.
Ainsi l'écureuil grimpe et regrimpe à l'arbre comme Nicolas Fouquet dont la devise était « Quo non ascendet », « Jusqu'où ne montera-t-il pas ». Plus dure sera la chute, certes, car un tel destin est tragique. Mais en l'attendant nous restons encore privés d'un stratège qui soit capable d'indiquer à notre pays une orientation judicieuse, puis de s'y tenir fermement.
Il est ainsi plus utile aujourd'hui de lire Raymond Aron, qui a publié des éditoriaux dans le Figaro, que de lire Jean-Paul Sartre – bon écrivain sans doute, mais dont la pensée a souvent déraillé.
Notre droite, qui forme une moitié de la population française, n'est cependant pas constituée que de ces personnes intelligentes, correctes et cultivées : en votant hier pour celui que les Russes qualifient de « lapin cocaïnomane » elle a accordé une prime à la vulgarité et s'est montrée une fois de plus dupe d'une énergie factice, d'un activisme brouillon, d'un électoralisme forcené.
Oui, électoralisme : j'ai entendu Nicolas Sarkozy dire, lors d'un déjeuner organisé par l'Expansion, « il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt : la seule chose qui compte, en politique, c'est de gagner les élections ».
Le fait est qu'il sait s'y prendre. Mais le virtuose de la bataille électorale restera inévitablement lui-même une fois élu : sa principale préoccupation ne sera pas de diriger un parti ni un pays, mais de gagner l'élection suivante.
Ainsi l'écureuil grimpe et regrimpe à l'arbre comme Nicolas Fouquet dont la devise était « Quo non ascendet », « Jusqu'où ne montera-t-il pas ». Plus dure sera la chute, certes, car un tel destin est tragique. Mais en l'attendant nous restons encore privés d'un stratège qui soit capable d'indiquer à notre pays une orientation judicieuse, puis de s'y tenir fermement.
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samedi 22 novembre 2014
Les institutions et nous
Nous sommes tous victimes d'une illusion d'optique quand nous regardons une institution (une entreprise, un ministère, un « système » comme le système éducatif ou le système de santé, l’État, etc.) : son existence nous semble si évidente, si massive, que nous ne pensons pas qu'elle a pu être créée, « instituée », qu'elle aurait pu ne pas exister, qu'il se peut qu'elle cesse un jour d'exister.
Tandis que la permanence, l'éternité que nous lui attribuons nient son histoire et sa fragilité, nous percevons moins les services qu'elle rend que les défauts qu'elle présente : l'arrogance prétentieuse des dirigeants, le carriérisme hypocrite des cadres, le formalisme de l'organisation.
Les institutions nous irritent d'autant plus que rien, dans notre formation, ne nous a préparés à comprendre ce qu'elles sont, à percevoir leur utilité. La scolarité, les examens et les concours nous ont formés à l'individualisme, ainsi d'ailleurs que la littérature : rares sont, parmi les écrivains et les cinéastes, ceux qui ont mis en scène la vie d'une institution, sa naissance, sa mort et les épisodes dramatiques de son existence.
Comme elles sont exclues de notre imaginaire, de la façon dont nous concevons notre destin, elles nous exaspèrent. Pour les comprendre, pour savoir à quoi elles servent, il faut être sorti de l'adolescence, avoir mûri, avoir aussi médité l'histoire : et on sait que dans notre société l'adolescence se prolonge, parfois, jusqu'à la fin de la vie.
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jeudi 13 novembre 2014
Le plein emploi dans l'iconomie
Lorsque nous disons que l'iconomie connaîtra le plein emploi, on nous enjoint de le « démontrer ». Cette injonction révèle une incompréhension de ce que sont l'iconomie et l'« emploi ».
L'iconomie n'est ni une prévision, ni une certitude. C'est le modèle d'une économie et d'une société informatisées qui seraient par hypothèse parvenues à l'efficacité.
Rien ne garantit que l'évolution nous y conduira effectivement : contrairement à ce que postulent nombre d'économistes, l'histoire montre que l'efficacité n'est pas un attracteur vers lequel les sociétés tendraient irrésistiblement.
L'économie informatisée actuelle est inefficace puisqu'elle connaît un chômage de masse qui stérilise une part importante de la force de travail. Il se peut que l'évolution se poursuive sur la piste ainsi amorcée : la crise serait alors durable et l'économie resterait engluée dans un « déséquilibre », comme disent les économistes (dans leur vocabulaire « équilibre » est synonyme d'« efficacité »).
C'est le risque de cette inefficacité durable qui nous a incité à explorer un monde, celui de l'iconomie qui, étant par hypothèse efficace, implique le le plein emploi. Mais ce raisonnement, nous dit-on, ne convainc pas parce qu'il est théorique. On veut « sentir » les choses et la logique pure n'y suffit pas. Nous devons donc aller plus loin.
L'iconomie n'est ni une prévision, ni une certitude. C'est le modèle d'une économie et d'une société informatisées qui seraient par hypothèse parvenues à l'efficacité.
Rien ne garantit que l'évolution nous y conduira effectivement : contrairement à ce que postulent nombre d'économistes, l'histoire montre que l'efficacité n'est pas un attracteur vers lequel les sociétés tendraient irrésistiblement.
L'économie informatisée actuelle est inefficace puisqu'elle connaît un chômage de masse qui stérilise une part importante de la force de travail. Il se peut que l'évolution se poursuive sur la piste ainsi amorcée : la crise serait alors durable et l'économie resterait engluée dans un « déséquilibre », comme disent les économistes (dans leur vocabulaire « équilibre » est synonyme d'« efficacité »).
C'est le risque de cette inefficacité durable qui nous a incité à explorer un monde, celui de l'iconomie qui, étant par hypothèse efficace, implique le le plein emploi. Mais ce raisonnement, nous dit-on, ne convainc pas parce qu'il est théorique. On veut « sentir » les choses et la logique pure n'y suffit pas. Nous devons donc aller plus loin.
samedi 8 novembre 2014
Pour une philosophie de l'informatisation
« La culture s'est constituée en système de défense contre les techniques ; or cette défense se présente comme une défense de l'homme, supposant que les objets techniques ne contiennent pas de réalité humaine. Nous voudrions montrer que la culture ignore dans la réalité technique une réalité humaine, et que, pour jouer son rôle complet, la culture doit incorporer les êtres techniques sous forme de connaissance et de sens des valeurs »
L'informatique, science et technique de la conception et de la programmation des automates, a provoqué un phénomène historique, l'informatisation, qui confronte les intentions et les actions humaines à de nouvelles possibilités et de nouveaux dangers.
L'informatisation s'inscrit dans la vie des institutions1 avec leurs « systèmes d'information », ainsi que dans la vie quotidienne de chacun avec le Web, le téléphone « intelligent », les réseaux sociaux, etc.
La nature est transformée : l'Internet et l'informatisation de la logistique effacent nombre des effets de la distance, l'impression 3D franchit l'écran qui sépare les choses de leur représentation, l'Internet des objets enrichit les relations entre les choses, entre les choses et les automates, entre les choses et les personnes.
L'informatique semble ainsi accomplir la promesse de la magie, « commander aux choses par la parole » : des programmes qui commencent par « {public static void main (string args[ ]){ » supplantent efficacement « Abracadabra » et « Sésame, ouvre toi ».
Un défi est ainsi adressé aux philosophes2 : embrasser l'ensemble de ces phénomènes pour nous permettre de penser leurs conditions de possibilité et leurs conséquences ultimes.
L'enjeu est historique autant qu'intellectuel car l'informatisation place la société au carrefour de deux évolutions : l'une, dans laquelle elle s'est engagée, est celle de la consommation aveugle, de la crise des institutions, du clivage entre riches et pauvres, du déploiement de la violence.
L'autre est celle qui, tirant parti des possibilités et maîtrisant les dangers qui les accompagnent, conduirait à une société de classe moyenne où le système éducatif formerait des compétences, où le plein emploi serait assuré, où les rapports entre personnes s'appuieraient sur la considération, où la consommation serait exigeante en qualité et sobre en volume.
Après une révolution industrielle la société, désorientée, ne fait l'effort de comprendre la nouvelle nature qu'après un épisode de destruction. La responsabilité de ceux qui savent penser est aujourd'hui de faire en sorte que cet épisode soit aussi bref que possible.
(Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques, Aubier, 1958, p, 9).
* *
L'informatique, science et technique de la conception et de la programmation des automates, a provoqué un phénomène historique, l'informatisation, qui confronte les intentions et les actions humaines à de nouvelles possibilités et de nouveaux dangers.
L'informatisation s'inscrit dans la vie des institutions1 avec leurs « systèmes d'information », ainsi que dans la vie quotidienne de chacun avec le Web, le téléphone « intelligent », les réseaux sociaux, etc.
La nature est transformée : l'Internet et l'informatisation de la logistique effacent nombre des effets de la distance, l'impression 3D franchit l'écran qui sépare les choses de leur représentation, l'Internet des objets enrichit les relations entre les choses, entre les choses et les automates, entre les choses et les personnes.
L'informatique semble ainsi accomplir la promesse de la magie, « commander aux choses par la parole » : des programmes qui commencent par « {public static void main (string args[ ]){ » supplantent efficacement « Abracadabra » et « Sésame, ouvre toi ».
Un défi est ainsi adressé aux philosophes2 : embrasser l'ensemble de ces phénomènes pour nous permettre de penser leurs conditions de possibilité et leurs conséquences ultimes.
L'enjeu est historique autant qu'intellectuel car l'informatisation place la société au carrefour de deux évolutions : l'une, dans laquelle elle s'est engagée, est celle de la consommation aveugle, de la crise des institutions, du clivage entre riches et pauvres, du déploiement de la violence.
L'autre est celle qui, tirant parti des possibilités et maîtrisant les dangers qui les accompagnent, conduirait à une société de classe moyenne où le système éducatif formerait des compétences, où le plein emploi serait assuré, où les rapports entre personnes s'appuieraient sur la considération, où la consommation serait exigeante en qualité et sobre en volume.
Après une révolution industrielle la société, désorientée, ne fait l'effort de comprendre la nouvelle nature qu'après un épisode de destruction. La responsabilité de ceux qui savent penser est aujourd'hui de faire en sorte que cet épisode soit aussi bref que possible.
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vendredi 7 novembre 2014
Pour François Hollande
J'ai trouvé François Hollande convaincant hier soir et beaucoup plus sympathique que ses prédécesseurs. Que l'on se rappelle donc l'énergie factice de Sarkozy, Chirac et sa façon de répondre à côté de la question, la prétention « culturelle » de Mitterrand, Giscard et son cerveau « supérieur » et sentencieux, Pompidou et sa « modernité »... De Gaulle reste bien sûr hors concours.
Après l'émission de TF1 les politiques ont exprimé la position de leur parti : la « gauche » (sauf les extrémistes) a trouvé Hollande bon, la « droite » l'a trouvé mauvais. Ces opinions préfabriquées n'ont aucune signification.
Mais qu'elle soit « de droite » ou « de gauche » la presse unanime a tiré sur Hollande. Le Monde estime qu'il a été « aux antipodes du mélange d'autorité et de souveraineté que les Français attendent du chef de l’État » (sic) et « trop attentiste pour être convaincant ». Libération a jugé l'émission « plombante sur la forme, guère emballante sur le fond » et estime que Hollande a raconté « quelques bobards ». Le Figaro, cela ne surprend pas, titre « encore raté ! » et commente : « échec », « naufrage », etc.
Les journalistes ont-ils vu la même émission que moi ? Je crois plutôt qu'ils hurlent avec les loups : celui qui ose s'exprimer au rebours des sondages passe pour un jobard. Peu de gens ont pris ce risque sur Twitter.
J'ai toujours détesté ces situations dans lesquelles au lycée, dans l'entreprise, une meute prend plaisir à se savoir unanime en sacrifiant un bouc émissaire.
Hollande a pourtant raison de soutenir les entreprises : ceux qui le lui reprochent semblent croire que les emplois et le bien-être matériel peuvent sortir du sol comme l'herbe au printemps. Soutenir les entreprises, c'est d'ailleurs soutenir les entrepreneurs et non le patronat.
Il a eu raison de rappeler la nécessité des institutions à la dame chef d'entreprise qui croit que la décision politique puisse sortir du sol.
Il a raison de juger prioritaire la lutte contre le réchauffement climatique, de reconnaître l'importance du « numérique » (même si je préfère dire « l'informatisation »). Il s'exagère l'apport économique des énergies renouvelables mais il n'est pas le seul : Rifkin est à la mode.
Personne ne lui a demandé ce que l’État peut faire pour contenir les rémunérations prédatrices, l'abus de biens sociaux, la fraude fiscale, le blanchiment... on ne peut pas lui reprocher de ne pas en avoir parlé.
Il a été aimable et correct avec les personnes que l'on avait mises en face de lui, il s'est prêté à l'exercice en direct et sans filet. Il a répondu aux questions, il n'a pas esquivé les difficultés de l'heure, il n'a pas joué à l'« énergique » ni à l'homme supérieur.
Il m'a paru sérieux, responsable. Ce président fait de son mieux dans une situation difficile. Il respecte la France, il nous respecte, il nous fait honneur devant les autres pays.
Que demander de plus ? Que notre président soit un génie, un faiseur de miracles, un prestidigitateur capable de créer le lapin qu'il sort du chapeau ? Un souverain à qui l'onction du sacre aurait conféré l'omniscience ?
Il a des limites ? Sans doute, car c'est le lot de tout être humain. Il ne faut pas demander à un président d'être Superman.
A quoi nous sert donc de prendre Hollande pour bouc émissaire, sinon à soulager notre peur collective, notre incapacité à assumer notre personnalité historique, notre République, dans le monde que fait émerger l'informatisation ?
Après l'émission de TF1 les politiques ont exprimé la position de leur parti : la « gauche » (sauf les extrémistes) a trouvé Hollande bon, la « droite » l'a trouvé mauvais. Ces opinions préfabriquées n'ont aucune signification.
Mais qu'elle soit « de droite » ou « de gauche » la presse unanime a tiré sur Hollande. Le Monde estime qu'il a été « aux antipodes du mélange d'autorité et de souveraineté que les Français attendent du chef de l’État » (sic) et « trop attentiste pour être convaincant ». Libération a jugé l'émission « plombante sur la forme, guère emballante sur le fond » et estime que Hollande a raconté « quelques bobards ». Le Figaro, cela ne surprend pas, titre « encore raté ! » et commente : « échec », « naufrage », etc.
Les journalistes ont-ils vu la même émission que moi ? Je crois plutôt qu'ils hurlent avec les loups : celui qui ose s'exprimer au rebours des sondages passe pour un jobard. Peu de gens ont pris ce risque sur Twitter.
J'ai toujours détesté ces situations dans lesquelles au lycée, dans l'entreprise, une meute prend plaisir à se savoir unanime en sacrifiant un bouc émissaire.
Hollande a pourtant raison de soutenir les entreprises : ceux qui le lui reprochent semblent croire que les emplois et le bien-être matériel peuvent sortir du sol comme l'herbe au printemps. Soutenir les entreprises, c'est d'ailleurs soutenir les entrepreneurs et non le patronat.
Il a eu raison de rappeler la nécessité des institutions à la dame chef d'entreprise qui croit que la décision politique puisse sortir du sol.
Il a raison de juger prioritaire la lutte contre le réchauffement climatique, de reconnaître l'importance du « numérique » (même si je préfère dire « l'informatisation »). Il s'exagère l'apport économique des énergies renouvelables mais il n'est pas le seul : Rifkin est à la mode.
Personne ne lui a demandé ce que l’État peut faire pour contenir les rémunérations prédatrices, l'abus de biens sociaux, la fraude fiscale, le blanchiment... on ne peut pas lui reprocher de ne pas en avoir parlé.
Il a été aimable et correct avec les personnes que l'on avait mises en face de lui, il s'est prêté à l'exercice en direct et sans filet. Il a répondu aux questions, il n'a pas esquivé les difficultés de l'heure, il n'a pas joué à l'« énergique » ni à l'homme supérieur.
Il m'a paru sérieux, responsable. Ce président fait de son mieux dans une situation difficile. Il respecte la France, il nous respecte, il nous fait honneur devant les autres pays.
Que demander de plus ? Que notre président soit un génie, un faiseur de miracles, un prestidigitateur capable de créer le lapin qu'il sort du chapeau ? Un souverain à qui l'onction du sacre aurait conféré l'omniscience ?
Il a des limites ? Sans doute, car c'est le lot de tout être humain. Il ne faut pas demander à un président d'être Superman.
A quoi nous sert donc de prendre Hollande pour bouc émissaire, sinon à soulager notre peur collective, notre incapacité à assumer notre personnalité historique, notre République, dans le monde que fait émerger l'informatisation ?
mercredi 5 novembre 2014
La démocratie se paralyse
Les dernières élections américaines ont donné la majorité au parti républicain, dont le programme se réduit à combattre Barack Obama (cf. l'éditorial du New York Times, Negativity Wins the Senate).
Ce parti veut revenir sur la limitation du droit à détenir une arme, la réforme du système de santé, la régulation des banques, la lutte contre le changement climatique, la réforme de l'immigration, les investissements dans le système éducatif. Pour relancer l'économie, ses propositions se limitent à construire un pipe-line avec le Canada, réduire encore les impôts sur les plus riches et crier contre « Obamacare ».
Ainsi la démocratie américaine s'enfonce, séduite par des slogans populistes. Qu'en est-il en France ?
Quelle que soit la qualité éventuellement discutable des projets, ils rencontrent tous une opposition musclée : l'opinion, majoritairement individualiste, déteste les institutions. Elle n'autorise au gouvernement que deux activités qui éveillent l'émotion : les commémorations, l'hommage aux victimes. Elles sont peu fatigantes.
Personne ne voit que l'informatisation a transformé les ressources et les dangers que présente la nature, et donc transformé l'économie : ceux qui détestent l'Entreprise ignorent les systèmes d'information et ne veulent percevoir que les usages individuels du « numérique » : Web, réseaux sociaux, etc.
Cependant les abus de biens sociaux et la fraude fiscale se poursuivent, le crime organisé et la corruption prospèrent grâce au blanchiment, la Banque exerce une prédation sur le système productif, les dirigeants s'attribuent des fortunes sous le prétexte de « rémunération » et de « retraite ».
Tandis que la démocratie se paralyse, un régime féodal s'instaure. Lorsqu'il sera solidement installé nous ferons comme le corbeau honteux et confus de la fable : nous jurerons, mais un peu tard, qu'on ne nous y prendra plus.
Ce parti veut revenir sur la limitation du droit à détenir une arme, la réforme du système de santé, la régulation des banques, la lutte contre le changement climatique, la réforme de l'immigration, les investissements dans le système éducatif. Pour relancer l'économie, ses propositions se limitent à construire un pipe-line avec le Canada, réduire encore les impôts sur les plus riches et crier contre « Obamacare ».
Ainsi la démocratie américaine s'enfonce, séduite par des slogans populistes. Qu'en est-il en France ?
Quelle que soit la qualité éventuellement discutable des projets, ils rencontrent tous une opposition musclée : l'opinion, majoritairement individualiste, déteste les institutions. Elle n'autorise au gouvernement que deux activités qui éveillent l'émotion : les commémorations, l'hommage aux victimes. Elles sont peu fatigantes.
Personne ne voit que l'informatisation a transformé les ressources et les dangers que présente la nature, et donc transformé l'économie : ceux qui détestent l'Entreprise ignorent les systèmes d'information et ne veulent percevoir que les usages individuels du « numérique » : Web, réseaux sociaux, etc.
Cependant les abus de biens sociaux et la fraude fiscale se poursuivent, le crime organisé et la corruption prospèrent grâce au blanchiment, la Banque exerce une prédation sur le système productif, les dirigeants s'attribuent des fortunes sous le prétexte de « rémunération » et de « retraite ».
Tandis que la démocratie se paralyse, un régime féodal s'instaure. Lorsqu'il sera solidement installé nous ferons comme le corbeau honteux et confus de la fable : nous jurerons, mais un peu tard, qu'on ne nous y prendra plus.
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jeudi 30 octobre 2014
Dimensions de l'enseignement de l'informatique
(Article destiné à la revue EpiNet de l'association « Enseignement public & Informatique »)
De quoi parle-t-on lorsque l'on dit qu'il faut « enseigner l'informatique » ? Que veut-on enseigner, au juste ?
Certains sont tentés de se limiter à l'art de la programmation, pour lequel la référence est l'ouvrage monumental de Donald Knuth1 – et il est vrai que l'algorithmique pourrait, à elle seule, nourrir un programme étalé sur plusieurs années de cours suivies par une vie entière de recherche.
Mais l'informatique se réduit-elle aux algorithmes ? Non, bien sûr, car l'algorithmique n'est que l'une de ses couches. Elle en comporte d'autres que l'on peut découper de diverses façons : on peut par exemple distinguer la couche physique des processeurs, mémoires et réseaux ; la couche sémantique où sont définies les données ; la couche « processus » où l'informatique rencontre le comportement des êtres humains ; etc.
L'informatique est d'ailleurs essentiellement orientée vers l'action : comme le disent Abelson et Sussman2 elle répond à la question « how to », « comment faire », alors que les mathématiques répondent à la question « what is », « qu'est-ce que c'est » en déployant ce qu'impliquent des définitions. Un enseignement qui négligerait la relation entre l'informatique et l'action, c'est-à-dire l'informatisation, serait artificiel.
Il suffit pour s'en convaincre de penser à la qualité des données. La règle « garbage in, garbage out » est implacable : si les données sont mal définies (incohérentes, polluées par des synonymes et des homonymes, etc.), l'algorithme le mieux conçu ne peut rien fournir qui vaille.
Or on ne peut définir les données de façon pertinente que si l'on a défini d'abord l'action que l'on veut réaliser, puis désigné les êtres réels qu'elle concerne et sélectionné les attributs qu'il convient d'observer. Pour construire un modèle de données il faut donc se poser la question « que voulons-nous faire », point de départ de l'ingénierie sémantique.
De quoi parle-t-on lorsque l'on dit qu'il faut « enseigner l'informatique » ? Que veut-on enseigner, au juste ?
Certains sont tentés de se limiter à l'art de la programmation, pour lequel la référence est l'ouvrage monumental de Donald Knuth1 – et il est vrai que l'algorithmique pourrait, à elle seule, nourrir un programme étalé sur plusieurs années de cours suivies par une vie entière de recherche.
Mais l'informatique se réduit-elle aux algorithmes ? Non, bien sûr, car l'algorithmique n'est que l'une de ses couches. Elle en comporte d'autres que l'on peut découper de diverses façons : on peut par exemple distinguer la couche physique des processeurs, mémoires et réseaux ; la couche sémantique où sont définies les données ; la couche « processus » où l'informatique rencontre le comportement des êtres humains ; etc.
L'informatique est d'ailleurs essentiellement orientée vers l'action : comme le disent Abelson et Sussman2 elle répond à la question « how to », « comment faire », alors que les mathématiques répondent à la question « what is », « qu'est-ce que c'est » en déployant ce qu'impliquent des définitions. Un enseignement qui négligerait la relation entre l'informatique et l'action, c'est-à-dire l'informatisation, serait artificiel.
Il suffit pour s'en convaincre de penser à la qualité des données. La règle « garbage in, garbage out » est implacable : si les données sont mal définies (incohérentes, polluées par des synonymes et des homonymes, etc.), l'algorithme le mieux conçu ne peut rien fournir qui vaille.
Or on ne peut définir les données de façon pertinente que si l'on a défini d'abord l'action que l'on veut réaliser, puis désigné les êtres réels qu'elle concerne et sélectionné les attributs qu'il convient d'observer. Pour construire un modèle de données il faut donc se poser la question « que voulons-nous faire », point de départ de l'ingénierie sémantique.
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mardi 30 septembre 2014
Jeremy Rifkin, The Zero Marginal Cost Society, Palgrave MacMillan, 2014
In English
J'ai fini par me procurer le livre de Rifkin, The Zero Marginal Cost Society, malgré la déception ressentie à la lecture de son précédent ouvrage, The Third Industrial Revolution.
Tout ce livre est bâti sur une grossière erreur de raisonnement. Voici où cela s'exprime :
"Economists have long understood that the most efficient economy is one in which consumers pay only for the marginal cost of the goods they purchase. But if consumers pay only for the marginal cost and those costs continue to race toward zero, businesses would not be able to ensure a return on their investment and sufficient profit. That being the case, market leaders would attempt to gain market dominance to ensure a monopoly hold so they could impose prices higher than the marginal cost, thus preventing the invisible hand from hurrying the market along to the most efficient economy. This is the inherent contradiction that underlies capitalist theory and practice".
Rifkin croit donc que la tarification au coût marginal s'impose, même lorsque ce coût est nul !
Or cette tarification n'est efficace que si le marché obéit au régime de la concurrence parfaite, qui implique que le coût marginal ne soit pas nul et qui ne peut s'instaurer que si la fonction de production est à rendement d'échelle décroissant, ce qui n'est pas le cas dans l'économie numérique (voir Eléments de théorie "iconomique") : le raisonnement de Rifkin combine donc deux hypothèses qui s'excluent mutuellement.
L'erreur de logique située au départ de ce raisonnement ruine sa conclusion relative à la "fin du capitalisme". Que le capitalisme disparaisse serait d'ailleurs étrange alors que le coût de production se condense dans un coût fixe qui est du pur capital.
Rifkin avait annoncé en 1997 la "fin du travail", alors qu'il aurait fallu plutôt parler d'une transformation du travail. En 2011 il avait situé dans les énergies nouvelles (éoliennes, panneaux solaires, etc.) la troisième révolution industrielle, alors qu'elle se trouve dans l'informatisation. Il continue à se tromper avec ce nouveau livre, cela plaît beaucoup à de nombreux lecteurs.
Son succès médiatique est un spectacle pénible pour ceux qui éprouvent, malgré tout, du respect envers la nature humaine.
J'ai fini par me procurer le livre de Rifkin, The Zero Marginal Cost Society, malgré la déception ressentie à la lecture de son précédent ouvrage, The Third Industrial Revolution.
Tout ce livre est bâti sur une grossière erreur de raisonnement. Voici où cela s'exprime :
"Economists have long understood that the most efficient economy is one in which consumers pay only for the marginal cost of the goods they purchase. But if consumers pay only for the marginal cost and those costs continue to race toward zero, businesses would not be able to ensure a return on their investment and sufficient profit. That being the case, market leaders would attempt to gain market dominance to ensure a monopoly hold so they could impose prices higher than the marginal cost, thus preventing the invisible hand from hurrying the market along to the most efficient economy. This is the inherent contradiction that underlies capitalist theory and practice".
Rifkin croit donc que la tarification au coût marginal s'impose, même lorsque ce coût est nul !
Or cette tarification n'est efficace que si le marché obéit au régime de la concurrence parfaite, qui implique que le coût marginal ne soit pas nul et qui ne peut s'instaurer que si la fonction de production est à rendement d'échelle décroissant, ce qui n'est pas le cas dans l'économie numérique (voir Eléments de théorie "iconomique") : le raisonnement de Rifkin combine donc deux hypothèses qui s'excluent mutuellement.
L'erreur de logique située au départ de ce raisonnement ruine sa conclusion relative à la "fin du capitalisme". Que le capitalisme disparaisse serait d'ailleurs étrange alors que le coût de production se condense dans un coût fixe qui est du pur capital.
Rifkin avait annoncé en 1997 la "fin du travail", alors qu'il aurait fallu plutôt parler d'une transformation du travail. En 2011 il avait situé dans les énergies nouvelles (éoliennes, panneaux solaires, etc.) la troisième révolution industrielle, alors qu'elle se trouve dans l'informatisation. Il continue à se tromper avec ce nouveau livre, cela plaît beaucoup à de nombreux lecteurs.
Son succès médiatique est un spectacle pénible pour ceux qui éprouvent, malgré tout, du respect envers la nature humaine.
vendredi 22 août 2014
« Numérique », impasse pour l'intuition
On parle beaucoup du « numérique ». Ce mot désigne précisément le codage binaire auquel l'informatique soumet les documents (texte, image, son, vidéo, code source etc.), chacun étant en effet représenté par une suite de 0 et de 1 qui forme un très grand nombre.
Voici quelques années on ne disait pas « numérique » mais « dématérialisation » (« démat' » dans le jargon professionnel) : un document, un formulaire étaient « dématérialisés » par le passage du support papier au format informatique.
« Numérique », plus récent, focalise lui aussi l'intuition sur ce passage. C'est donc, comme l'est « voile » pour « bateau », une métonymie pour « informatique » : l'« économie numérique » est en fait l'économie informatisée, l'« entreprise numérique » est l'entreprise informatisée.
Le vocabulaire se précise d'ailleurs nécessairement quand il s'agit de passer à l'action : une « formation au numérique » se concrétisera par l'apprentissage de l'usage et de la programmation des ordinateurs, la « numérisation » d'une entreprise se réalisera par la mise en œuvre d'un système d'information, etc.
Pourquoi donc ne pas dire plutôt « informatique » et « informatisation » qui, étant exacts, donnent un accès immédiat à l'action ?
Le vocabulaire s'explique ici comme ailleurs par des raisons à la fois historiques, sociologiques et idéologiques :
Voici quelques années on ne disait pas « numérique » mais « dématérialisation » (« démat' » dans le jargon professionnel) : un document, un formulaire étaient « dématérialisés » par le passage du support papier au format informatique.
« Numérique », plus récent, focalise lui aussi l'intuition sur ce passage. C'est donc, comme l'est « voile » pour « bateau », une métonymie pour « informatique » : l'« économie numérique » est en fait l'économie informatisée, l'« entreprise numérique » est l'entreprise informatisée.
Le vocabulaire se précise d'ailleurs nécessairement quand il s'agit de passer à l'action : une « formation au numérique » se concrétisera par l'apprentissage de l'usage et de la programmation des ordinateurs, la « numérisation » d'une entreprise se réalisera par la mise en œuvre d'un système d'information, etc.
Pourquoi donc ne pas dire plutôt « informatique » et « informatisation » qui, étant exacts, donnent un accès immédiat à l'action ?
Le vocabulaire s'explique ici comme ailleurs par des raisons à la fois historiques, sociologiques et idéologiques :
- Les Américains ont refusé le mot « informatique » qu'ils jugent not invented here. Comme « computer science » ne se prête pas à la formation d'un adjectif ils disent « digital », qui évoque les chiffres 0 et 1, et nous l'avons traduit par « numérique » qui évoque les nombres. Certains, pour mieux les imiter, préfèrent « digital » à « numérique ».
- Nombreux sont ceux qui ne veulent voir dans l'informatique qu'une « simple technique ». Pour évoquer l'éventail des effets de l'informatisation ils utilisent de façon paradoxale « numérique », dont le sens propre est plus technique encore que celui d'« informatique ».
- Ceux qui appartiennent (ou ambitionnent d'appartenir) au « bon milieu » des dirigeants croient que la précision technique est le fait de personnes d'un niveau social médiocre. Le flou conceptuel de « numérique » leur permet de faire l'important en « parlant sans jugement de choses qu'ils ignorent », comme disait Descartes.
- Cette attitude est renforcée dans la « haute » fonction publique par une échelle des valeurs qui place tout en bas l'action, jugée vulgaire, compromettante et sale, et tout en haut une parole qui exprime la contemplation de vérités éternelles.
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Sociologie
lundi 18 août 2014
Eléments de théorie "iconomique"
Voici le lien vers le chapitre que je viens de rédiger pour un ouvrage dont Claude Rochet coordonne la rédaction (il est destiné à être publié aussi sous forme d'article dans les "Cahiers de l'iconomie") :
http://www.volle.com/travaux/ecoiconomie.pdf
Je me suis efforcé dans ce texte de présenter l'iconomie en la plaçant de façon rigoureuse dans le cadre de la théorie économique.
Pour en donner un avant-goût, voici son résumé :
L'économie moderne s'est déployée à partir de la fin du XVIIIe siècle en s'appuyant sur la mécanique, la chimie, puis sur l'énergie à partir de la fin du XIXe siècle.
Elle a fait place à partir des années 1970 à une économie informatisée1 qui s'appuie sur la synergie de la microélectronique, du logiciel et de l'Internet.
La mécanique, la chimie et l'énergie ne sont pas supprimées : elles s'informatisent, tout comme l'agriculture s'est mécanisée et chimisée aux XIXe et XXe siècles.
L'informatisation automatise les tâches répétitives physiques et mentales. Le flux de travail que demande la production devient faible en regard du stock de travail qui la prépare : le coût de production tend à se réduire au coût du capital fixe initial.
Il en résulte une cascade de conséquences dans la nature des produits, le régime du marché, l'organisation des entreprises, la sociologie des pouvoirs et la psychologie des personnes.
Nous nommons iconomie une économie informatisée qui serait parvenue à la pleine efficacité ou, comme disent les économistes, « à l'équilibre ».
Le chômage de masse indique que l'économie informatisée actuelle n'est pas l'iconomie. Elle connaît une crise de transition due à l'inadéquation du comportement des agents économiques (entreprises, consommateurs, État) en regard des ressources et des dangers qu'apporte l'informatisation.
La seule stratégie pour sortir de cette crise est celle qui s'appuiera sur une conscience claire de ces ressources et de ces dangers pour orienter les agents économiques vers l'iconomie.
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1 Nous n'utilisons pas ici le mot « numérique », qui est trop étroit pour désigner les phénomènes que comporte et provoque l'informatisation.
http://www.volle.com/travaux/ecoiconomie.pdf
Je me suis efforcé dans ce texte de présenter l'iconomie en la plaçant de façon rigoureuse dans le cadre de la théorie économique.
Pour en donner un avant-goût, voici son résumé :
L'économie moderne s'est déployée à partir de la fin du XVIIIe siècle en s'appuyant sur la mécanique, la chimie, puis sur l'énergie à partir de la fin du XIXe siècle.
Elle a fait place à partir des années 1970 à une économie informatisée1 qui s'appuie sur la synergie de la microélectronique, du logiciel et de l'Internet.
La mécanique, la chimie et l'énergie ne sont pas supprimées : elles s'informatisent, tout comme l'agriculture s'est mécanisée et chimisée aux XIXe et XXe siècles.
L'informatisation automatise les tâches répétitives physiques et mentales. Le flux de travail que demande la production devient faible en regard du stock de travail qui la prépare : le coût de production tend à se réduire au coût du capital fixe initial.
Il en résulte une cascade de conséquences dans la nature des produits, le régime du marché, l'organisation des entreprises, la sociologie des pouvoirs et la psychologie des personnes.
Nous nommons iconomie une économie informatisée qui serait parvenue à la pleine efficacité ou, comme disent les économistes, « à l'équilibre ».
Le chômage de masse indique que l'économie informatisée actuelle n'est pas l'iconomie. Elle connaît une crise de transition due à l'inadéquation du comportement des agents économiques (entreprises, consommateurs, État) en regard des ressources et des dangers qu'apporte l'informatisation.
La seule stratégie pour sortir de cette crise est celle qui s'appuiera sur une conscience claire de ces ressources et de ces dangers pour orienter les agents économiques vers l'iconomie.
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1 Nous n'utilisons pas ici le mot « numérique », qui est trop étroit pour désigner les phénomènes que comporte et provoque l'informatisation.
mardi 5 août 2014
L'apport du judaïsme
Mon père, chrétien fidèle, respectait le judaïsme. Cela m'avait préparé à manifester ma curiosité lorsqu'une collègue m'a dit que son mari était rabin : je lui ai demandé de me prêter des textes du Talmud.
Cette lecture m'a libéré du carcan de l'hellénisme. Alors que la pensée de Platon, où nous voyons le point culminant de la philosophie, part de concepts généraux (le Vrai, le Bien, le Beau, etc.), le Talmud part de situations particulières qu'il tente d'éclairer à la lumière de la Torah.
Ainsi tandis que Platon descend, si je puis me permettre cette image, de quelques centimètres à partir du plafond de l'abstraction, le Talmud monte de quelques centimètres à partir du plancher du concret : il respecte la complexité du monde réel.
J'ai rencontré quelques années plus tard un prêtre, ami d'ami qui avait fait ses études à Jérusalem. « Le principe du judaïsme, me dit-il, c'est que Dieu est inconnaissable ». Il en résulte qu'aucune connaissance ne peut atteindre l'absolu : c'est là un principe révolutionnaire, car toute vie sociale s'appuie sur l'adhésion commune à des valeurs que l'on croit absolues.
« C'est pourquoi, dit cet ami, les juifs se sont donné une Loi purement formelle, donc dépourvue de toute justification pratique ou logique mais faite pour procurer la cohésion à une société qui sinon exploserait. Le risque est bien sûr que cette Loi devienne en fait un absolu, une idole : cela fait chez les juifs l'objet d'une dispute sans fin ».
Prétendre connaître Dieu, n'est-ce pas blasphématoire alors que nous ne pouvons pas connaître pleinement le moindre des objets auxquels l'expérience nous confronte car, même si nous savons l'utiliser, nous ne savons rien de son origine, de son histoire, des molécules qui le composent, etc. ?
Ce qui existe (« se tient debout à l'extérieur ») se présente devant notre pensée, mais elle ne peut pas se l'assimiler autrement que de façon pratique. Il en est de même pour Dieu, l'Existant.
Cette lecture m'a libéré du carcan de l'hellénisme. Alors que la pensée de Platon, où nous voyons le point culminant de la philosophie, part de concepts généraux (le Vrai, le Bien, le Beau, etc.), le Talmud part de situations particulières qu'il tente d'éclairer à la lumière de la Torah.
Ainsi tandis que Platon descend, si je puis me permettre cette image, de quelques centimètres à partir du plafond de l'abstraction, le Talmud monte de quelques centimètres à partir du plancher du concret : il respecte la complexité du monde réel.
J'ai rencontré quelques années plus tard un prêtre, ami d'ami qui avait fait ses études à Jérusalem. « Le principe du judaïsme, me dit-il, c'est que Dieu est inconnaissable ». Il en résulte qu'aucune connaissance ne peut atteindre l'absolu : c'est là un principe révolutionnaire, car toute vie sociale s'appuie sur l'adhésion commune à des valeurs que l'on croit absolues.
« C'est pourquoi, dit cet ami, les juifs se sont donné une Loi purement formelle, donc dépourvue de toute justification pratique ou logique mais faite pour procurer la cohésion à une société qui sinon exploserait. Le risque est bien sûr que cette Loi devienne en fait un absolu, une idole : cela fait chez les juifs l'objet d'une dispute sans fin ».
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Prétendre connaître Dieu, n'est-ce pas blasphématoire alors que nous ne pouvons pas connaître pleinement le moindre des objets auxquels l'expérience nous confronte car, même si nous savons l'utiliser, nous ne savons rien de son origine, de son histoire, des molécules qui le composent, etc. ?
Ce qui existe (« se tient debout à l'extérieur ») se présente devant notre pensée, mais elle ne peut pas se l'assimiler autrement que de façon pratique. Il en est de même pour Dieu, l'Existant.
Libellés :
Philosophie
mercredi 23 juillet 2014
De la filière au processus
(Ce texte est une réaction à la note « A quoi servent les filières » publiée par la Fabrique de l'Industrie).
Le concept de « filière » occupe une place intermédiaire entre celui de fraction d'entreprise et celui de branche d'activité : il vise à représenter l'enchaînement des activités qui, de l'extraction des matières premières jusqu'à la finition d'un produit, concourent à l'élaboration de celui-ci en traversant éventuellement plusieurs entreprises (dans ce cas on considère, outre la succession technique des activités élémentaires, les relations contractuelles qui définissent le partage des coûts, recettes et responsabilités).
On peut représenter une filière selon un graphe orienté : les nœuds initiaux sont la production des matières premières, les nœuds finals représentent des produits. Une telle représentation est formellement analogue à celle que l'on utilise, dans une entreprise, pour modéliser un processus de production.
Historiquement le recours à la filière pour définir la politique industrielle a résulté du constat de l'inadéquation des agrégats de la macroéconomie, trop globaux, comme du concept de branche d'activité, trop peu explicatif. Le secret de l'efficacité résidait, pensait-on, dans l'articulation judicieuse des fractions d'entreprise en filières. On a ainsi parlé des filières du nucléaire, de l'aéronautique, de l'énergie, du bois etc.
Cependant les modèles économétriques qu'ont utilisés le Plan et le Trésor relevaient de la macroéconomie, dont le grain est trop grossier pour faire apparaître des filières. Le ministère de l'Industrie, organisé selon les branches d'activité, a utilisé le formalisme des filières pour instruire des décisions qu'il proposait mais la plupart de ses directions étaient peu écoutées et le Trésor avait généralement le dernier mot.
Le concept de filière a donc eu un succès inégal. Est-il nécessaire aujourd'hui ?
Le concept de « filière » occupe une place intermédiaire entre celui de fraction d'entreprise et celui de branche d'activité : il vise à représenter l'enchaînement des activités qui, de l'extraction des matières premières jusqu'à la finition d'un produit, concourent à l'élaboration de celui-ci en traversant éventuellement plusieurs entreprises (dans ce cas on considère, outre la succession technique des activités élémentaires, les relations contractuelles qui définissent le partage des coûts, recettes et responsabilités).
On peut représenter une filière selon un graphe orienté : les nœuds initiaux sont la production des matières premières, les nœuds finals représentent des produits. Une telle représentation est formellement analogue à celle que l'on utilise, dans une entreprise, pour modéliser un processus de production.
Historiquement le recours à la filière pour définir la politique industrielle a résulté du constat de l'inadéquation des agrégats de la macroéconomie, trop globaux, comme du concept de branche d'activité, trop peu explicatif. Le secret de l'efficacité résidait, pensait-on, dans l'articulation judicieuse des fractions d'entreprise en filières. On a ainsi parlé des filières du nucléaire, de l'aéronautique, de l'énergie, du bois etc.
Cependant les modèles économétriques qu'ont utilisés le Plan et le Trésor relevaient de la macroéconomie, dont le grain est trop grossier pour faire apparaître des filières. Le ministère de l'Industrie, organisé selon les branches d'activité, a utilisé le formalisme des filières pour instruire des décisions qu'il proposait mais la plupart de ses directions étaient peu écoutées et le Trésor avait généralement le dernier mot.
Le concept de filière a donc eu un succès inégal. Est-il nécessaire aujourd'hui ?
samedi 19 juillet 2014
Christian Malis, Guerre et stratégie au XXIe siècle, Fayard, 2014
Le livre de Christian Malis passionnera ceux qui connaissent le métier des armes. Il fait le point sur les débats de doctrine sans rien céder au pédantisme de l'érudition universitaire, il énumère les contraintes stratégiques auxquelles la France est confrontée, il propose des réponses à la réflexion du lecteur.
Voici un exemple : la France dispose, grâce à ses possessions outre-mer, de droits sur un domaine maritime immense, ressource économique de première grandeur pour la pêche et l'exploitation des fonds marins. Ses droits existent de jure dans les traités internationaux mais ils peuvent être annulés de facto si l'accès à ce domaine lui est interdit par la force ou s'il fait l'objet d'intrusions qu'elle ne peut pas empêcher.
Une politique consciente des intérêts à long terme de la nation devrait donc la doter d'une force navale significative : nous ne le faisons pas.
Autre exemple : la puissance militaire, qui se concrétise par la présence d'hommes et de matériel sur le terrain, ne se sépare pas des ressources logistiques, d'une infrastructure technique et scientifique, de la réflexion qui définit la doctrine d'emploi des armes, le tout évolutif pour tenir compte de la nature des adversaires. Pour pouvoir déployer une force combattante efficace de quelques milliers d'hommes, il faut des dizaines de milliers d'autres dans le transport, la logistique, l'industrie et la recherche.
Aujourd'hui la France se refuse à cet effort. Alors même qu'elle demande à son armée d'accomplir sa mission sur des terrains difficiles, elle la soumet à une pression budgétaire qui provoque une pénurie d'effectifs, d'équipements et de munitions.
Toute nation qui renonce à sa puissance sera dominée et opprimée par d'autres nations : c'est une loi de la nature. On peut la déplorer mais il n'est pas réaliste de la nier.
La puissance d'une nation s'exprime dans sa culture, son économie et ses forces armées. Or ces trois dimensions de la puissance sont aujourd'hui, en France, la cible d'une trahison dont l'origine se trouve dans notre histoire (La France, cette mal aimée).
Voici un exemple : la France dispose, grâce à ses possessions outre-mer, de droits sur un domaine maritime immense, ressource économique de première grandeur pour la pêche et l'exploitation des fonds marins. Ses droits existent de jure dans les traités internationaux mais ils peuvent être annulés de facto si l'accès à ce domaine lui est interdit par la force ou s'il fait l'objet d'intrusions qu'elle ne peut pas empêcher.
Une politique consciente des intérêts à long terme de la nation devrait donc la doter d'une force navale significative : nous ne le faisons pas.
Autre exemple : la puissance militaire, qui se concrétise par la présence d'hommes et de matériel sur le terrain, ne se sépare pas des ressources logistiques, d'une infrastructure technique et scientifique, de la réflexion qui définit la doctrine d'emploi des armes, le tout évolutif pour tenir compte de la nature des adversaires. Pour pouvoir déployer une force combattante efficace de quelques milliers d'hommes, il faut des dizaines de milliers d'autres dans le transport, la logistique, l'industrie et la recherche.
Aujourd'hui la France se refuse à cet effort. Alors même qu'elle demande à son armée d'accomplir sa mission sur des terrains difficiles, elle la soumet à une pression budgétaire qui provoque une pénurie d'effectifs, d'équipements et de munitions.
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Toute nation qui renonce à sa puissance sera dominée et opprimée par d'autres nations : c'est une loi de la nature. On peut la déplorer mais il n'est pas réaliste de la nier.
La puissance d'une nation s'exprime dans sa culture, son économie et ses forces armées. Or ces trois dimensions de la puissance sont aujourd'hui, en France, la cible d'une trahison dont l'origine se trouve dans notre histoire (La France, cette mal aimée).
jeudi 10 juillet 2014
Vers l'économie du risque maximum
Entretien avec Laurent Faibis le 25 juin 2014 : pourquoi l'informatisation fait émerger l'économie du risque maximum.
samedi 5 juillet 2014
Laurent Beccaria, Hélie de Saint Marc, Les Arènes/Perrin, 2013
Hélie Denoix de Saint Marc avait 18 ans en mai 1940. Il a été humilié par la déroute des armées françaises, il a admiré l'énergie et l'organisation des soldats allemands, il s'est engagé dans la résistance. Il s'est fait prendre alors qu'il tentait de passer en Espagne et a été déporté à Buchenwald où les Américains l'ont trouvé agonisant lors de la libération du camp.
Une fois retapé il est passé par Saint-Cyr avant d'entrer dans les parachutistes de la Légion. Il a fait la guerre en Indochine, puis en Algérie.
Il commandait par intérim le 1er REP en avril 1961. Il s'est mis au service du général Challe lors de la tentative de putsch et son régiment a pris le contrôle d'Alger.
Après l'échec du putsch il a été chassé de l'armée et a fait cinq ans de prison. Il a par la suite publié des livres où il a présenté ses réflexions sur le métier des armes.
Le livre de Laurent Beccaria décrit à travers cette biographie le destin d'une génération d'officiers français.
Ces jeunes gens nés dans les années 1920 sont devenus des guerriers pour laver l'humiliation ressentie en 1940. Ils ont pris tous les risques. Beaucoup sont morts au combat, ceux qui ont survécu ont acquis une excellente compétence tactique.
Une fois retapé il est passé par Saint-Cyr avant d'entrer dans les parachutistes de la Légion. Il a fait la guerre en Indochine, puis en Algérie.
Il commandait par intérim le 1er REP en avril 1961. Il s'est mis au service du général Challe lors de la tentative de putsch et son régiment a pris le contrôle d'Alger.
Après l'échec du putsch il a été chassé de l'armée et a fait cinq ans de prison. Il a par la suite publié des livres où il a présenté ses réflexions sur le métier des armes.
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Le livre de Laurent Beccaria décrit à travers cette biographie le destin d'une génération d'officiers français.
Ces jeunes gens nés dans les années 1920 sont devenus des guerriers pour laver l'humiliation ressentie en 1940. Ils ont pris tous les risques. Beaucoup sont morts au combat, ceux qui ont survécu ont acquis une excellente compétence tactique.
jeudi 3 juillet 2014
Le cerveau d'oeuvre : emplois et compétences dans l'iconomie
Voici la vidéo d'un entretien avec Laurent Faibis le 25 juin 2014 (5 min 33 s). Un regret : Faibis ne m'a pas interrogé sur la possibilité du plein emploi dans l'iconomie. J'aurais fait la réponse classique :
- en 1800 l'agriculture occupait les deux tiers de la population active : il aurait été alors difficile de se représenter l'emploi en 2014, quand elle n'en occupe que 3 % ;
- de même, nous avons du mal à nous représenter l'emploi dans l'iconomie car son déploiement implique des changements profonds dans l'économie et la société ;
- l'emploi sera différent de ce qu'il est aujourd'hui, le système éducatif aura évolué (cf. L'iconomie et les jeunes) ;
- enfin toute économie à l'équilibre connaît le plein emploi de la force de travail. L'iconomie est par hypothèse une économie à l'équilibre, donc elle ne connaîtra plus le chômage de masse.
mercredi 2 juillet 2014
Nicolas Sarkozy : style et usurpations
Nicolas Sarkozy n'est pas seulement l'homme politique qui a été ministre puis président de la République. C'est aussi un homme tout court et cet homme a un style.
Ce style, c'est une trépidation de l'être qui se manifeste par l'activité incessante, la repartie rapide, le talent d'un escrimeur médiatique. Il séduit ceux qui respectent l'énergie, ou plutôt son apparence.
Oui, son apparence, car nombre de mesures annoncées n'ont eu d'autre conséquence que le pur effet d'annonce. Cette activité s'est donc souvent dégradée en activisme, cette énergie s'est parfois dégradée en violence.
Celle-ci s'est manifestée avec une vulgarité qui a choqué : que l'on se rappelle le « croc de boucher » promis à de Villepin, l'invitation à la bagarre adressée à un pêcheur qui l'avait insulté, le « casse-toi, pauvre con » adressé à un quidam au salon de l'Agriculture.
La vulgarité était présente aussi dans l'attitude ostensiblement « décontractée » lors des rencontres avec d'autres dirigeants : on a vu Sarkozy, le talon d'un soulier dans la main, se vautrer dans un fauteuil devant Poutine.
On l'a vu aussi palper avec complaisance la poitrine d'une dame qu'il venait de décorer :
Ce style était fait pour séduire ceux qui ne conçoivent pas ce qui sépare l'activité de l'activisme, l'énergie de la violence, la décontraction de la vulgarité. Ils sont certes nombreux et plus nombreux encore sont ceux qui, respectant les institutions, croient devoir accorder le même respect à la personne qui occupe la fonction de président de la République.
Or la question est de savoir si cette personne remplit effectivement la fonction à laquelle elle a été élue. On arrive ici au point culminant de la question du style.
Ce style, c'est une trépidation de l'être qui se manifeste par l'activité incessante, la repartie rapide, le talent d'un escrimeur médiatique. Il séduit ceux qui respectent l'énergie, ou plutôt son apparence.
Oui, son apparence, car nombre de mesures annoncées n'ont eu d'autre conséquence que le pur effet d'annonce. Cette activité s'est donc souvent dégradée en activisme, cette énergie s'est parfois dégradée en violence.
Celle-ci s'est manifestée avec une vulgarité qui a choqué : que l'on se rappelle le « croc de boucher » promis à de Villepin, l'invitation à la bagarre adressée à un pêcheur qui l'avait insulté, le « casse-toi, pauvre con » adressé à un quidam au salon de l'Agriculture.
La vulgarité était présente aussi dans l'attitude ostensiblement « décontractée » lors des rencontres avec d'autres dirigeants : on a vu Sarkozy, le talon d'un soulier dans la main, se vautrer dans un fauteuil devant Poutine.
On l'a vu aussi palper avec complaisance la poitrine d'une dame qu'il venait de décorer :
Ce style était fait pour séduire ceux qui ne conçoivent pas ce qui sépare l'activité de l'activisme, l'énergie de la violence, la décontraction de la vulgarité. Ils sont certes nombreux et plus nombreux encore sont ceux qui, respectant les institutions, croient devoir accorder le même respect à la personne qui occupe la fonction de président de la République.
Or la question est de savoir si cette personne remplit effectivement la fonction à laquelle elle a été élue. On arrive ici au point culminant de la question du style.
lundi 30 juin 2014
Sortir de l'impasse stratégique
Pour ceux qui cherchent une orientation stratégique la lecture d'iconomie sera beaucoup plus utile que celle du rapport intitulé « Quelle France dans dix ans ? » que vient de publier le Commissariat général à la stratégie et à la prospective.
La stratégie consiste à repérer, dans la complexité des phénomènes, celui sur lequel peut s'appuyer un levier efficace et qui sera donc essentiel pour orienter l'action. Or ce rapport est une revue des faits économiques et sociaux dont aucune mise en relief ne permet de dégager un tel levier.
Cela résulte de la méthode utilisée. La consultation soi-disant démocratique, mais en fait paresseuse, d'un grand nombre de personnes et d'institutions a conduit à accumuler avis et suggestions. Certains sont sans doute judicieux mais leur accumulation empêche de dégager une orientation stratégique.
Aujourd'hui l'orientation stratégique est pourtant parfaitement claire. Expliquons nous.
La stratégie consiste à repérer, dans la complexité des phénomènes, celui sur lequel peut s'appuyer un levier efficace et qui sera donc essentiel pour orienter l'action. Or ce rapport est une revue des faits économiques et sociaux dont aucune mise en relief ne permet de dégager un tel levier.
Cela résulte de la méthode utilisée. La consultation soi-disant démocratique, mais en fait paresseuse, d'un grand nombre de personnes et d'institutions a conduit à accumuler avis et suggestions. Certains sont sans doute judicieux mais leur accumulation empêche de dégager une orientation stratégique.
Aujourd'hui l'orientation stratégique est pourtant parfaitement claire. Expliquons nous.
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Informatisation,
Stratégie
lundi 16 juin 2014
L'iconomie et les jeunes
Entre les jeunes et l'informatisation, la relation est plus profonde qu'on ne le croit communément.
Les plus superficiels admirent, comme le fait Michel Serres, la virtuosité des adolescents avec le clavier et la souris. D'autres envisagent de façon plus sérieuse l'informatisation du système éducatif et l'enseignement de l'informatique (cf. Enjeux de l'enseignement de l'informatique).
Mais on peut aller encore plus loin si l'on considère l'économie et la société que fait émerger l'informatisation, c'est-à-dire l'iconomie.
Notre système éducatif a été organisé pour former une main d’œuvre nombreuse, auxiliaire de la machine, dont la compétence se réduit à comprendre et exécuter fidèlement les ordres reçus. Il forme aussi des cadres en plus petit nombre et des dirigeants encore moins nombreux, la proportion des divers niveaux de la pyramide répondant aux besoins de l'organisation hiérarchique.
Celle-ci ne demande rien d'autre au cerveau de la main d’œuvre que la coordination réflexe des gestes répétitifs qui sont nécessaires à la production.
Dans l'iconomie, par contre, les tâches répétitives sont automatisées. Certains craignent que l'automatisation ne supprime « l'emploi », mais faut-il regretter un « emploi » qui néglige et donc stérilise la ressource la plus précieuse de l'être humain ?
Reste aux êtres humains ce que l'automate ne pourra jamais faire : concevoir des produits, organisations et programmes nouveaux ; répondre à des situations imprévisibles ; traiter avec discernement des cas particuliers ; interpréter ce qu'a dit quelqu'un afin de comprendre ce qu'il a voulu dire.
La main d’œuvre fait ainsi place au cerveau d’œuvre dans les entreprises et les institutions. On attend de celui-ci qu'il soit capable d'initiative et sache assumer des responsabilités. Or la responsabilité ne peut pas aller sans la légitimité, c'est-à-dire sans un droit à l'erreur et un droit à l'écoute. La délégation de légitimité renverse la sacralisation du commandement qui caractérisait l'organisation hiérarchique : le commandement reste une fonction utile, certes, mais ni plus ni moins sacrée que les autres fonctions.
Le cerveau humain est la ressource essentielle de l'iconomie, et c'est une ressource naturelle illimitée car on ne peut pas assigner à son potentiel aucune limite a priori. L'iconomie se trouve ainsi affranchie des bornes que l'épuisement des ressources énergétiques fossiles assignait à l'économie antérieure.
Il en résulte un changement de la mission du système éducatif.
Les plus superficiels admirent, comme le fait Michel Serres, la virtuosité des adolescents avec le clavier et la souris. D'autres envisagent de façon plus sérieuse l'informatisation du système éducatif et l'enseignement de l'informatique (cf. Enjeux de l'enseignement de l'informatique).
Mais on peut aller encore plus loin si l'on considère l'économie et la société que fait émerger l'informatisation, c'est-à-dire l'iconomie.
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Notre système éducatif a été organisé pour former une main d’œuvre nombreuse, auxiliaire de la machine, dont la compétence se réduit à comprendre et exécuter fidèlement les ordres reçus. Il forme aussi des cadres en plus petit nombre et des dirigeants encore moins nombreux, la proportion des divers niveaux de la pyramide répondant aux besoins de l'organisation hiérarchique.
Celle-ci ne demande rien d'autre au cerveau de la main d’œuvre que la coordination réflexe des gestes répétitifs qui sont nécessaires à la production.
Dans l'iconomie, par contre, les tâches répétitives sont automatisées. Certains craignent que l'automatisation ne supprime « l'emploi », mais faut-il regretter un « emploi » qui néglige et donc stérilise la ressource la plus précieuse de l'être humain ?
Reste aux êtres humains ce que l'automate ne pourra jamais faire : concevoir des produits, organisations et programmes nouveaux ; répondre à des situations imprévisibles ; traiter avec discernement des cas particuliers ; interpréter ce qu'a dit quelqu'un afin de comprendre ce qu'il a voulu dire.
La main d’œuvre fait ainsi place au cerveau d’œuvre dans les entreprises et les institutions. On attend de celui-ci qu'il soit capable d'initiative et sache assumer des responsabilités. Or la responsabilité ne peut pas aller sans la légitimité, c'est-à-dire sans un droit à l'erreur et un droit à l'écoute. La délégation de légitimité renverse la sacralisation du commandement qui caractérisait l'organisation hiérarchique : le commandement reste une fonction utile, certes, mais ni plus ni moins sacrée que les autres fonctions.
Le cerveau humain est la ressource essentielle de l'iconomie, et c'est une ressource naturelle illimitée car on ne peut pas assigner à son potentiel aucune limite a priori. L'iconomie se trouve ainsi affranchie des bornes que l'épuisement des ressources énergétiques fossiles assignait à l'économie antérieure.
Il en résulte un changement de la mission du système éducatif.
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samedi 31 mai 2014
Personne ne peut vraiment comprendre ce qui est incompréhensible
Certains textes, certaines œuvres d'art sont difficiles à comprendre mais compréhensibles. Le lecteur, le spectateur attentif les repèrent : dans un texte, quelques phrases brillent par leur énergie ; dans un morceau de musique, une mélodie attire l'attention ; dans l'œuvre d'un peintre, un tableau saute aux yeux. On devine alors que l'on a affaire à un texte, à une oeuvre de qualité : on y reviendra, on creusera et la clarté entraperçue s'étendra sur l'ensemble jusqu'à l'illuminer.
Mais que faire lorsque la porte reste fermée, lorsqu'aucune partie de l'œuvre n'émet la moindre lumière ? Eh bien il faut alors oser dire que l'on n'y comprend rien et que peut-être cela ne vaut pas grand-chose.
C'est ainsi que je rejette les textes de philosophie qui procèdent par association d'idées, les textes de mathématiques où des tautologies tiennent lieu de définition, et si une œuvre d'art ne me dit rien, c'est parce qu'elle n'a sans doute rien à dire.
Je dis « sans doute » par politesse envers ceux qui l'admirent mais leur admiration me semble douteuse. Je soupçonne certains philosophes, architectes, écrivains et artistes célèbres, dont la cote atteint les sommets, d'être des farceurs qui auront su habilement gérer leur notoriété. D'autres par contre me parlent alors qu'ils sont peu connus et parfois d'abord austère. C'est avec ceux-là que je vis.
Comment se fait-il donc que tant de gens disent comprendre ce que je ne comprends pas, et méprisent ce que j'aime ? Je crains qu'ils ne fassent confiance à la réputation. J'ai contrarié ceux qui respectent un homme célèbre lorsque j'ai dit que Michel Serres avait écrit des sottises dans Petite poucette : mais enfin ces sottises étaient écrites, il suffisait de les lire pour se faire une opinion indépendante de la renommée.
Beaucoup de gens semblent croire que la population se divise en deux parties : les gens cultivés vivraient dans un monde où se partagent de confiance les mêmes admirations et les mêmes mépris. Les autres seraient des incultes qui ne savent apprécier que le kitsch.
Celui qui ne cherche que le plaisir, fût-ce celui que donnent des œuvres austères mais profondes, va alors scandaliser.
Mais si l'on aime le Don Juan de Mozart et les Concertos brandebourgeois de Bach, pourquoi ne serait-on pas libre de dire que la musique du premier et les cantates du second sont souvent ennuyeuses ? Si l'on aime Cézanne et Klee, pourquoi n'aurait-on pas le droit de détester les toiles de Soulages ? Si l'on aime Proust et Saint-Simon, pourquoi ne pourrait-on pas détester Houellebecq ? Si l'on aime ce que fait Buren, pourquoi ne pourrait-on pas détester l'architecture de Beaubourg ? Si l'on aime Jules Vuillemin et Jacques Bouveresse, pourquoi ne pourrait-on pas détester Deleuze et Derrida ? Je partage la critique que Sokal et Bricmont avait adressée à ces derniers (voir le commentaire de Bouveresse).
Pour pouvoir assimiler un texte philosophique il faut le lire soigneusement, lentement, puis méditer ce que l'on a lu et ensuite y revenir. Si je vois que le texte procède par association d'idées, métaphores et allusions, tous procédés qui incitent l'imagination à divaguer, je maudis le farceur et laisse tomber son ouvrage.
Mais je me demande comment font ceux qui disent comprendre ces textes incompréhensibles.
La vie est trop courte, notre rencontre avec le monde de la pensée et avec le monde de la nature est trop brève pour que nous perdions notre temps en simagrées. Si la culture, la philosophie, la science et l'art sont nutritifs, c'est à condition de se les approprier en s'affranchissant de la sociologie de l'« élite » culturelle qui les parasite.
Il n'existe pas d'autre guide, pour progresser, que le bon sens que cette « élite » méprise tant, que la droiture persévérante du jugement, que le flair d'abord maladroit puis de plus en plus exact qui se forme par la recherche intime du plaisir.
Mais que faire lorsque la porte reste fermée, lorsqu'aucune partie de l'œuvre n'émet la moindre lumière ? Eh bien il faut alors oser dire que l'on n'y comprend rien et que peut-être cela ne vaut pas grand-chose.
C'est ainsi que je rejette les textes de philosophie qui procèdent par association d'idées, les textes de mathématiques où des tautologies tiennent lieu de définition, et si une œuvre d'art ne me dit rien, c'est parce qu'elle n'a sans doute rien à dire.
Je dis « sans doute » par politesse envers ceux qui l'admirent mais leur admiration me semble douteuse. Je soupçonne certains philosophes, architectes, écrivains et artistes célèbres, dont la cote atteint les sommets, d'être des farceurs qui auront su habilement gérer leur notoriété. D'autres par contre me parlent alors qu'ils sont peu connus et parfois d'abord austère. C'est avec ceux-là que je vis.
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Comment se fait-il donc que tant de gens disent comprendre ce que je ne comprends pas, et méprisent ce que j'aime ? Je crains qu'ils ne fassent confiance à la réputation. J'ai contrarié ceux qui respectent un homme célèbre lorsque j'ai dit que Michel Serres avait écrit des sottises dans Petite poucette : mais enfin ces sottises étaient écrites, il suffisait de les lire pour se faire une opinion indépendante de la renommée.
Beaucoup de gens semblent croire que la population se divise en deux parties : les gens cultivés vivraient dans un monde où se partagent de confiance les mêmes admirations et les mêmes mépris. Les autres seraient des incultes qui ne savent apprécier que le kitsch.
Celui qui ne cherche que le plaisir, fût-ce celui que donnent des œuvres austères mais profondes, va alors scandaliser.
Mais si l'on aime le Don Juan de Mozart et les Concertos brandebourgeois de Bach, pourquoi ne serait-on pas libre de dire que la musique du premier et les cantates du second sont souvent ennuyeuses ? Si l'on aime Cézanne et Klee, pourquoi n'aurait-on pas le droit de détester les toiles de Soulages ? Si l'on aime Proust et Saint-Simon, pourquoi ne pourrait-on pas détester Houellebecq ? Si l'on aime ce que fait Buren, pourquoi ne pourrait-on pas détester l'architecture de Beaubourg ? Si l'on aime Jules Vuillemin et Jacques Bouveresse, pourquoi ne pourrait-on pas détester Deleuze et Derrida ? Je partage la critique que Sokal et Bricmont avait adressée à ces derniers (voir le commentaire de Bouveresse).
Pour pouvoir assimiler un texte philosophique il faut le lire soigneusement, lentement, puis méditer ce que l'on a lu et ensuite y revenir. Si je vois que le texte procède par association d'idées, métaphores et allusions, tous procédés qui incitent l'imagination à divaguer, je maudis le farceur et laisse tomber son ouvrage.
Mais je me demande comment font ceux qui disent comprendre ces textes incompréhensibles.
La vie est trop courte, notre rencontre avec le monde de la pensée et avec le monde de la nature est trop brève pour que nous perdions notre temps en simagrées. Si la culture, la philosophie, la science et l'art sont nutritifs, c'est à condition de se les approprier en s'affranchissant de la sociologie de l'« élite » culturelle qui les parasite.
Il n'existe pas d'autre guide, pour progresser, que le bon sens que cette « élite » méprise tant, que la droiture persévérante du jugement, que le flair d'abord maladroit puis de plus en plus exact qui se forme par la recherche intime du plaisir.
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Sociologie
vendredi 30 mai 2014
Mettre les banques à la raison
Lorsqu'une banque est reconnue coupable d'un délit (assistance à la fraude fiscale, blanchiment des profits du crime, non respect d'un embargo), elle passe un compromis (settlement) avec ses victimes, la justice et le régulateur : l'affaire est classée moyennant le paiement d'une amende.
Cette amende est d'un ordre de grandeur macroéconomique : ainsi il est question que la BNP, accusée par les Etats-Unis d'avoir contourné l'embargo imposé à certains pays, paie une amende de 10 milliards de dollars. Ce n'est pas fini car elle est par ailleurs soupçonnée, avec la Société Générale et le Crédit Agricole, d'avoir facilité des opérations de blanchiment1.
JPMorgan Chase s'est vue infliger une amende de 13 milliards de dollars pour ce qu'elle a fait sur le marché des subprimes2, auxquels s'ajoutent 2 milliards pour son rôle dans l'affaire Madoff3.
UBS4 et Deutsche Bank5 se sont fait pincer à propos des subprimes ; Crédit Suisse6 pour du blanchiment ; une enquête est en cours sur la manipulation du cours des devises7 ; Barclays, UBS, Royal Bank of Scotland et Rabobank ont dû payer plusieurs centaines de millions d'euros pour avoir manipulé le Libor ; la Royal Bank of Scotland est accusée d'avoir poussé à la faillite des entreprises viables pour récupérer leurs actifs à bon compte8.
Si une banque accepte de payer de telles amendes, c'est pour éviter le déballage qu'occasionnerait un procès et aussi pour éviter la sanction éventuellement plus sévère que risquerait de décider un jury scandalisé.
Cette amende est d'un ordre de grandeur macroéconomique : ainsi il est question que la BNP, accusée par les Etats-Unis d'avoir contourné l'embargo imposé à certains pays, paie une amende de 10 milliards de dollars. Ce n'est pas fini car elle est par ailleurs soupçonnée, avec la Société Générale et le Crédit Agricole, d'avoir facilité des opérations de blanchiment1.
JPMorgan Chase s'est vue infliger une amende de 13 milliards de dollars pour ce qu'elle a fait sur le marché des subprimes2, auxquels s'ajoutent 2 milliards pour son rôle dans l'affaire Madoff3.
UBS4 et Deutsche Bank5 se sont fait pincer à propos des subprimes ; Crédit Suisse6 pour du blanchiment ; une enquête est en cours sur la manipulation du cours des devises7 ; Barclays, UBS, Royal Bank of Scotland et Rabobank ont dû payer plusieurs centaines de millions d'euros pour avoir manipulé le Libor ; la Royal Bank of Scotland est accusée d'avoir poussé à la faillite des entreprises viables pour récupérer leurs actifs à bon compte8.
* *
Si une banque accepte de payer de telles amendes, c'est pour éviter le déballage qu'occasionnerait un procès et aussi pour éviter la sanction éventuellement plus sévère que risquerait de décider un jury scandalisé.
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vendredi 23 mai 2014
L'éthique et l'iconomie
(Transcription de l'intervention au colloque « Éthique et Numérique, quels enjeux pour l'entreprise ? » organisé par le CIGREF le 28 mars 2014)
L'Institut de l'Iconomie est un petit organisme de recherche qui s'est donné pour but d'essayer d'enjamber l'épisode actuel, assez pénible, de transition et d'immaturité dont Jean-Marc Berlioz vient de nous donner quelques témoignages éclairants, pour se projeter dans le futur et essayer de voir où nous allons.
Il s'agit de voir ce que peuvent être une économie, une société, une entreprise, qui seraient parvenues à la maturité dans la nouvelle nature, le nouveau monde que fait émerger, l'informatisation : nous nommons "iconomie" la société qui, par hypothèse, serait parvenue à cette maturité.
Comment se la représenter, comment se représenter aussi les possibilités et les risques que comporte l'informatisation ? Comment contenir les risques, comment exploiter les possibilités ?
De la main-d’œuvre au cerveau-d’œuvre
Nous avons, sur ce thème, engagé une réflexion qui a conduit à des conclusions pratiques, notamment dans le domaine de l'éthique. On voit en effet, si l'on extrapole l'évolution pour se projeter dans le futur, que dans les entreprises les conditions de travail sont très profondément modifiées. Nous allons notamment vers une automatisation de toutes les tâches répétitives physiques et aussi mentales : les lawyers américains n'arrivent plus à facturer la recherche documentaire qui est maintenant faite par des ordinateurs. Ils ont ainsi perdu la possibilité de faire du chiffre sur des activités qui leur prenaient auparavant beaucoup de temps.
Nous voyons déjà la place prise dans les usines par des robots. Si l'on extrapole, on peut dire que la main-d'œuvre tend à être remplacée par du cerveau-d'œuvre. En effet quand toutes les tâches répétitives sont automatisées, qu'est-ce qui reste à faire ? Ce qui n'est pas répétitif, justement : les tâches qui demandent de l'initiative, qui exigent de savoir répondre à l'imprévu, de savoir traiter l'imprévisible auquel les entreprises sont naturellement toujours confrontées.
Ce remplacement de la main-d'œuvre par le cerveau-d'œuvre est un phénomène extrêmement profond. Mais attention : il ne faut pas confondre la main-d'œuvre avec le travail manuel. Un chirurgien ou un pianiste font un travail manuel, ils n'appartiennent pas à la main-d'œuvre.
La main-d'œuvre est en fait le rapport social qui s'est imposé dans le système productif, à partir du XIXe siècle, lorsque la production a été mécanisée. Il fallait alors compléter l'action des machines par l'intervention du corps humain. Le corps humain a été alors conçu comme un appendice de la machine à laquelle il apportait des compléments en réalisant des tâches que la machine n'était pas capable d'exécuter, ou qu'il aurait été trop coûteux de mécaniser.
L'Institut de l'Iconomie est un petit organisme de recherche qui s'est donné pour but d'essayer d'enjamber l'épisode actuel, assez pénible, de transition et d'immaturité dont Jean-Marc Berlioz vient de nous donner quelques témoignages éclairants, pour se projeter dans le futur et essayer de voir où nous allons.
Il s'agit de voir ce que peuvent être une économie, une société, une entreprise, qui seraient parvenues à la maturité dans la nouvelle nature, le nouveau monde que fait émerger, l'informatisation : nous nommons "iconomie" la société qui, par hypothèse, serait parvenue à cette maturité.
Comment se la représenter, comment se représenter aussi les possibilités et les risques que comporte l'informatisation ? Comment contenir les risques, comment exploiter les possibilités ?
De la main-d’œuvre au cerveau-d’œuvre
Nous avons, sur ce thème, engagé une réflexion qui a conduit à des conclusions pratiques, notamment dans le domaine de l'éthique. On voit en effet, si l'on extrapole l'évolution pour se projeter dans le futur, que dans les entreprises les conditions de travail sont très profondément modifiées. Nous allons notamment vers une automatisation de toutes les tâches répétitives physiques et aussi mentales : les lawyers américains n'arrivent plus à facturer la recherche documentaire qui est maintenant faite par des ordinateurs. Ils ont ainsi perdu la possibilité de faire du chiffre sur des activités qui leur prenaient auparavant beaucoup de temps.
Nous voyons déjà la place prise dans les usines par des robots. Si l'on extrapole, on peut dire que la main-d'œuvre tend à être remplacée par du cerveau-d'œuvre. En effet quand toutes les tâches répétitives sont automatisées, qu'est-ce qui reste à faire ? Ce qui n'est pas répétitif, justement : les tâches qui demandent de l'initiative, qui exigent de savoir répondre à l'imprévu, de savoir traiter l'imprévisible auquel les entreprises sont naturellement toujours confrontées.
Ce remplacement de la main-d'œuvre par le cerveau-d'œuvre est un phénomène extrêmement profond. Mais attention : il ne faut pas confondre la main-d'œuvre avec le travail manuel. Un chirurgien ou un pianiste font un travail manuel, ils n'appartiennent pas à la main-d'œuvre.
La main-d'œuvre est en fait le rapport social qui s'est imposé dans le système productif, à partir du XIXe siècle, lorsque la production a été mécanisée. Il fallait alors compléter l'action des machines par l'intervention du corps humain. Le corps humain a été alors conçu comme un appendice de la machine à laquelle il apportait des compléments en réalisant des tâches que la machine n'était pas capable d'exécuter, ou qu'il aurait été trop coûteux de mécaniser.
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mardi 20 mai 2014
La France, cette mal-aimée
Pourquoi la France est-elle si mal aimée ? Pourquoi dit-on de façon si péjorative « franco-français » et « franchouillard » ? Pourquoi tant de gens croient-ils honteux d'être français ?
Aucun autre pays, à ma connaissance, ne cultive à ce point le dénigrement de soi – sauf peut-être le Zimbabwe et encore je n'en suis pas sûr.
Si on creuse, on trouve la racine de ce phénomène étrange : c'est la défaite de mai 1940 lors de laquelle la « première armée du monde », si fière de sa victoire en 1918, s'est effondrée en quelques jours, défaite suivie par l'épisode de l'occupation et de la collaboration.
Faisons le tour de cette affaire.
Ni Marc Bloch, dans L'étrange défaite, ni de Gaulle dans ses Mémoires n'ont évoqué la nature du pays auquel la Grande-Bretagne et la France ont alors été confrontées. Ils disent « les Allemands » ou « l'Allemagne » comme si l'ennemi était le même qu'en 1870 et 1914, alors qu'en 1940 l'ennemi n'était plus l'Allemand mais le Nazi.
Le parti nazi avait en effet conquis l'Allemagne, qui avait adopté son drapeau et dont la jeunesse était robotisée par la Hitlerjugend. Il avait tourné le dos à la grande culture allemande, à la science, à la philosophie et au droit auxquels les Allemands avaient tant contribué. Il avait dégradé la langue allemande elle-même.
Gouvernée par ces gangsters, l'Allemagne était devenue un pays de proie dont toutes les ressources devaient servir à la préparation de la guerre. Kissinger a observé que cette stratégie était stupide car l'Allemagne n'avait rien à craindre : qu'elle soit devenue la première puissance économique européenne après deux guerres perdues, la destruction de ses villes et une forte ponction démographique, cela prouve qu'elle était déjà sans le savoir, et de loin, le pays le plus puissant d'Europe1.
Le livre de Sebastian Haffner, Histoire d'un Allemand, témoigne de la brutalité bestiale du régime nazi. Le sens du devoir, vertu typiquement allemande, était détourné : comme l'a dit Dietrich Bonhoeffer, « l'homme de devoir finira par remplir son devoir au service du diable lui-même2 ». La camaraderie, autre vertu allemande, était encouragée pour renforcer la cohésion de la Wehrmacht.
Tandis que vous êtes un citoyen paisible, votre voisin est une brute qui s'entraîne au karaté. Un jour il vous casse la figure. Est-il plus intelligent que vous, plus fort au sens complet du terme, plus civilisé ? Non, assurément.
En mai 1940 une botte a écrasé le visage de la France, mais il y a plus d'intelligence dans un visage que dans une botte.
Aucun autre pays, à ma connaissance, ne cultive à ce point le dénigrement de soi – sauf peut-être le Zimbabwe et encore je n'en suis pas sûr.
Si on creuse, on trouve la racine de ce phénomène étrange : c'est la défaite de mai 1940 lors de laquelle la « première armée du monde », si fière de sa victoire en 1918, s'est effondrée en quelques jours, défaite suivie par l'épisode de l'occupation et de la collaboration.
Faisons le tour de cette affaire.
Ni Marc Bloch, dans L'étrange défaite, ni de Gaulle dans ses Mémoires n'ont évoqué la nature du pays auquel la Grande-Bretagne et la France ont alors été confrontées. Ils disent « les Allemands » ou « l'Allemagne » comme si l'ennemi était le même qu'en 1870 et 1914, alors qu'en 1940 l'ennemi n'était plus l'Allemand mais le Nazi.
Le parti nazi avait en effet conquis l'Allemagne, qui avait adopté son drapeau et dont la jeunesse était robotisée par la Hitlerjugend. Il avait tourné le dos à la grande culture allemande, à la science, à la philosophie et au droit auxquels les Allemands avaient tant contribué. Il avait dégradé la langue allemande elle-même.
Gouvernée par ces gangsters, l'Allemagne était devenue un pays de proie dont toutes les ressources devaient servir à la préparation de la guerre. Kissinger a observé que cette stratégie était stupide car l'Allemagne n'avait rien à craindre : qu'elle soit devenue la première puissance économique européenne après deux guerres perdues, la destruction de ses villes et une forte ponction démographique, cela prouve qu'elle était déjà sans le savoir, et de loin, le pays le plus puissant d'Europe1.
Le livre de Sebastian Haffner, Histoire d'un Allemand, témoigne de la brutalité bestiale du régime nazi. Le sens du devoir, vertu typiquement allemande, était détourné : comme l'a dit Dietrich Bonhoeffer, « l'homme de devoir finira par remplir son devoir au service du diable lui-même2 ». La camaraderie, autre vertu allemande, était encouragée pour renforcer la cohésion de la Wehrmacht.
Tandis que vous êtes un citoyen paisible, votre voisin est une brute qui s'entraîne au karaté. Un jour il vous casse la figure. Est-il plus intelligent que vous, plus fort au sens complet du terme, plus civilisé ? Non, assurément.
En mai 1940 une botte a écrasé le visage de la France, mais il y a plus d'intelligence dans un visage que dans une botte.
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lundi 19 mai 2014
Modernité de Corneille
Alors que je feuilletais une biographie de Corneille j'ai rencontré une phrase qui fut comme un signal : Corneille, dit son biographe, préférait Rodogune à toutes ses autres pièces. Je n'avais jamais lu celle-là, il fallait y aller voir.
Sa modernité m'a étonné. Non pas la modernité de la langue, certes. On n'écrit plus avec cette densité qui dit tout en un ou deux vers. Passer du XVIIe siècle à un auteur d'aujourd'hui, c'est retomber dans le bourbier des phrases à rallonge...
La modernité de Corneille réside dans les caractères. Cléopâtre, reine de Syrie (il ne s'agit pas de la reine d’Égypte du même nom), est toute rage, haine et ambition. Cette bête de proie politique ment, simule et tue : comme nos « hommes de pouvoir », elle ne conçoit pas de vivre sans régner.
Sa modernité m'a étonné. Non pas la modernité de la langue, certes. On n'écrit plus avec cette densité qui dit tout en un ou deux vers. Passer du XVIIe siècle à un auteur d'aujourd'hui, c'est retomber dans le bourbier des phrases à rallonge...
La modernité de Corneille réside dans les caractères. Cléopâtre, reine de Syrie (il ne s'agit pas de la reine d’Égypte du même nom), est toute rage, haine et ambition. Cette bête de proie politique ment, simule et tue : comme nos « hommes de pouvoir », elle ne conçoit pas de vivre sans régner.
dimanche 4 mai 2014
L'esprit de la recherche personnelle
J'aime à chercher avec les moyens du bord la solution de petits problèmes de mathématiques que je me pose. C'est une vraie recherche puisque je ne suis pas sûr au départ de pouvoir parvenir au résultat, mais elle est bien sûr très modeste : je ne découvrirai rien qui ne soit déjà connu des mathématiciens professionnels, dont je suis d'ailleurs incapable de comprendre les travaux.
Cette recherche si modeste et aucunement innovante est cependant salubre car l'aventure mentale qu'elle comporte est formatrice. N'est-il pas d'ailleurs plus important d'être chercheur que d'être savant ? Rien ne me semble plus lamentable que le cuistre qui exprime son mépris en disant : « ce résultat est déjà bien connu ». Certes ! Je ne suis pas le premier à grimper l'Everest, mais enfin je l'ai escaladé avec mes seules petites forces.
Le jeune Alexandre Grothendieck, élève au lycée, s'est posé un de ces problèmes. Si je connais les longueurs a, b et c des côtés d'un triangle, s'est-il dit, je dois pouvoir exprimer la surface de ce triangle en fonction de a, b et c et sans passer par le calcul d'une hauteur.
Il a cherché cette formule, il l'a trouvée : c'était une recherche authentique même si le résultat est connu depuis le Ier siècle après JC (« formule de Héron »). Le jeune Alexandre a d'ailleurs poussé la démarche jusqu'à exprimer le volume d'un tétraèdre en fonction des longueurs de ses six côtés.
La recherche personnelle est le passage nécessaire vers la recherche tout court, qui explorera des choses nouvelles et apportera des découvertes. J'ai donc invité mes petits-fils à se poser et à résoudre eux-mêmes un problème.
Cette recherche si modeste et aucunement innovante est cependant salubre car l'aventure mentale qu'elle comporte est formatrice. N'est-il pas d'ailleurs plus important d'être chercheur que d'être savant ? Rien ne me semble plus lamentable que le cuistre qui exprime son mépris en disant : « ce résultat est déjà bien connu ». Certes ! Je ne suis pas le premier à grimper l'Everest, mais enfin je l'ai escaladé avec mes seules petites forces.
Le jeune Alexandre Grothendieck, élève au lycée, s'est posé un de ces problèmes. Si je connais les longueurs a, b et c des côtés d'un triangle, s'est-il dit, je dois pouvoir exprimer la surface de ce triangle en fonction de a, b et c et sans passer par le calcul d'une hauteur.
Il a cherché cette formule, il l'a trouvée : c'était une recherche authentique même si le résultat est connu depuis le Ier siècle après JC (« formule de Héron »). Le jeune Alexandre a d'ailleurs poussé la démarche jusqu'à exprimer le volume d'un tétraèdre en fonction des longueurs de ses six côtés.
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La recherche personnelle est le passage nécessaire vers la recherche tout court, qui explorera des choses nouvelles et apportera des découvertes. J'ai donc invité mes petits-fils à se poser et à résoudre eux-mêmes un problème.
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Philosophie
mardi 22 avril 2014
vendredi 18 avril 2014
Les partenariats équitables dans l'iconomie
L'iconomie est l'économie du risque maximum en raison de l'importance des coûts fixes dans le coût de production : la quasi-totalité de celui-ci est en effet dépensée avant que l'entreprise n'ait vendu la première unité et reçu la première réponse du marché.
Dans l'iconomie la plupart des produits seront donc élaborés par un réseau d'entreprises partenaires car cela permet de réduire le risque que supporte chaque entreprise. Une autre raison milite pour le partenariat : chaque produit étant un assemblage de biens et de services, les « effets utiles » qu'il procure au client nécessitent l'intervention d'acteurs aux compétences diverses.
Au cœur du partenariat se trouve une plate-forme d'intermédiation qui a pour rôle:
Mais comment faire pour que le partenariat soit équitable ?
Dans l'iconomie la plupart des produits seront donc élaborés par un réseau d'entreprises partenaires car cela permet de réduire le risque que supporte chaque entreprise. Une autre raison milite pour le partenariat : chaque produit étant un assemblage de biens et de services, les « effets utiles » qu'il procure au client nécessitent l'intervention d'acteurs aux compétences diverses.
Au cœur du partenariat se trouve une plate-forme d'intermédiation qui a pour rôle:
- d'assurer l'interopérabilité du processus de production en introduisant, entre les systèmes d'information des partenaires, la passerelle qui assure une fonction de traduction et de commutation ;
- d'assurer le traitement des « effets de commerce » qui circulent entre les partenaires en procurant au partage des dépenses et recettes la transparence qui garantit son honnêteté.
Mais comment faire pour que le partenariat soit équitable ?
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dimanche 13 avril 2014
La vie d'un système d'information
(Exposé de Laurent Bloch, Jacques Printz et Michel Volle lors de la réunion de l'institut de l'iconomie le 10 avril 2014)
Un système d'information est un être vivant : il naît, il évolue et se renouvelle, il connaît des incidents et des accidents, il se métamorphose même, mais il mourra le jour où l'institution qu'il sert disparaîtra – car aucune institution, aucune entreprise n'est éternelle.
Ses utilisateurs ne font que trois choses : ils lisent, ils écrivent et ils lancent des traitements. Il met à leur disposition quatre choses : des mémoires, des processeurs, des logiciels et un réseau. Vu comme cela, l'affaire peut sembler très simple...
Les langages
… mais dès que l'on a dit « les utilisateurs lisent et ils écrivent », cela implique toute la complexité de l’ingénierie et du langage.
Les utilisateurs conversent entre eux en utilisant le langage naturel, moyen de communication dont la puissance est gagée par une imprécision : tous les mots du langage naturel sont en effet entourés de connotations suggestives mais floues.
L'action technique, qui concerne des choses et des actions professionnelles, exige au contraire un langage précis, dépourvu de connotations et donc strictement conceptuel. Outre les connotations, elle bannit les synonymes et les homonymes qui sont autant de sources de malentendus.
La première étape de la construction d'un système d'information réside dans l'élaboration d'un langage conforme aux exigences du métier : il faut que toute l'entreprise, et même certains clients/partenaires dans le cas de l’entreprise « étendue », parle la même langue sans homonymes ni synonymes ; il faut que cette langue respecte des règles logiques formelles de complétude et de cohérence, indépendantes des opinions des usagers (« context-free ») ; il faut que les concepts qu'elle utilise soient pertinents (c'est-à-dire adéquats à l'action productive).
L'ingénierie du système d'information doit mobiliser la technique informatique de façon à satisfaire les besoins des utilisateurs (et non de répondre à leur demande, car celle-ci n'est le plus souvent qu'une traduction erronée du besoin).
Lorsque le système d'information utilise l'informatique, les données saisies et les ordres de traitement sont traduits en une cascade de langages intermédiaires avant de parvenir aux processeurs sous la forme d'instructions élémentaires écrites en 0 et 1 : le langage du processeur est celui des opérations physiques, qui n'est ni celui des êtres humains, ni celui de la logique pure.
Un système d'information est un être vivant : il naît, il évolue et se renouvelle, il connaît des incidents et des accidents, il se métamorphose même, mais il mourra le jour où l'institution qu'il sert disparaîtra – car aucune institution, aucune entreprise n'est éternelle.
Ses utilisateurs ne font que trois choses : ils lisent, ils écrivent et ils lancent des traitements. Il met à leur disposition quatre choses : des mémoires, des processeurs, des logiciels et un réseau. Vu comme cela, l'affaire peut sembler très simple...
Les langages
… mais dès que l'on a dit « les utilisateurs lisent et ils écrivent », cela implique toute la complexité de l’ingénierie et du langage.
Les utilisateurs conversent entre eux en utilisant le langage naturel, moyen de communication dont la puissance est gagée par une imprécision : tous les mots du langage naturel sont en effet entourés de connotations suggestives mais floues.
L'action technique, qui concerne des choses et des actions professionnelles, exige au contraire un langage précis, dépourvu de connotations et donc strictement conceptuel. Outre les connotations, elle bannit les synonymes et les homonymes qui sont autant de sources de malentendus.
La première étape de la construction d'un système d'information réside dans l'élaboration d'un langage conforme aux exigences du métier : il faut que toute l'entreprise, et même certains clients/partenaires dans le cas de l’entreprise « étendue », parle la même langue sans homonymes ni synonymes ; il faut que cette langue respecte des règles logiques formelles de complétude et de cohérence, indépendantes des opinions des usagers (« context-free ») ; il faut que les concepts qu'elle utilise soient pertinents (c'est-à-dire adéquats à l'action productive).
L'ingénierie du système d'information doit mobiliser la technique informatique de façon à satisfaire les besoins des utilisateurs (et non de répondre à leur demande, car celle-ci n'est le plus souvent qu'une traduction erronée du besoin).
Lorsque le système d'information utilise l'informatique, les données saisies et les ordres de traitement sont traduits en une cascade de langages intermédiaires avant de parvenir aux processeurs sous la forme d'instructions élémentaires écrites en 0 et 1 : le langage du processeur est celui des opérations physiques, qui n'est ni celui des êtres humains, ni celui de la logique pure.
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samedi 12 avril 2014
Les études économiques en support des nouveaux services
(Exposé du 10 avril 2014 devant l'AHTI - Association pour l'Histoire des Télécoms et de l'Informatique)
J'arrive au CNET en 1983 à l'invitation de François du Castel pour y monter une « mission d'études économiques ». Cette mission devait éclairer la perspective de la diversification des services sur les réseaux télécoms en coopération avec l'équipe de Patrice Flichy qui, elle, menait des recherches sur la sociologie des usages.
Le service téléphonique avait en effet pratiquement atteint sa pénétration finale après l'effort d'équipement lancé à partir de 1974. L'énergie acquise par la DGT dans cette période de vive croissance se cherchait de nouveaux débouchés : ce sera le Minitel, puis le Plan Câble.
Je venais de l'INSEE et ne connaissais rien aux télécoms. Il a donc fallu que je me mette à l'école comme un bizut en lisant des livres, en écoutant les chercheurs du CNET et surtout les explications que me donnait généreusement du Castel.
J'ai eu bien du mal à comprendre la diversité des télécoms : le codage numérique du signal vocal, le modèle en couches, les règles d'ingénierie et la hiérarchie des commutateurs du réseau général, l'architecture de Transpac, le protocole Ethernet sur les réseaux locaux d'établissement, etc. Il faudra que je fasse un cours sur les techniques télécoms à l'ENSPTT pour assimiler enfin leur vocabulaire, leurs principes et leur méthode. Je suis étonné quand je vois un inspecteur des finances accepter de prendre la présidence du gigantesque automate qu'est le réseau télécom sans éprouver apparemment la moindre inquiétude...
Les gens des télécoms croyaient, ou affectaient de croire, qu'un économiste est un avocat payé pour faire des calculs complaisants à l'appui des projets qu'on lui demande de défendre. Ce n'était pas ainsi que je concevais mon métier et d'ailleurs du Castel ne m'a jamais demandé rien d'autre qu'un travail honnête.
Je respectais pour ma part beaucoup le sérieux professionnel des télécommunicants. Ils se partageaient entre deux spécialités : les « transmetteurs », qui sont des physiciens, et les « commutants » qui sont des logiciens, et ils adoraient littéralement leur métier historique, la téléphonie filaire. Cela me changeait agréablement de l'INSEE où la statistique – qui occupe l'essentiel des effectifs – était alors moins considérée que la comptabilité nationale, les modèles économétriques et la théorie économique.
J'arrive au CNET en 1983 à l'invitation de François du Castel pour y monter une « mission d'études économiques ». Cette mission devait éclairer la perspective de la diversification des services sur les réseaux télécoms en coopération avec l'équipe de Patrice Flichy qui, elle, menait des recherches sur la sociologie des usages.
Le service téléphonique avait en effet pratiquement atteint sa pénétration finale après l'effort d'équipement lancé à partir de 1974. L'énergie acquise par la DGT dans cette période de vive croissance se cherchait de nouveaux débouchés : ce sera le Minitel, puis le Plan Câble.
Je venais de l'INSEE et ne connaissais rien aux télécoms. Il a donc fallu que je me mette à l'école comme un bizut en lisant des livres, en écoutant les chercheurs du CNET et surtout les explications que me donnait généreusement du Castel.
J'ai eu bien du mal à comprendre la diversité des télécoms : le codage numérique du signal vocal, le modèle en couches, les règles d'ingénierie et la hiérarchie des commutateurs du réseau général, l'architecture de Transpac, le protocole Ethernet sur les réseaux locaux d'établissement, etc. Il faudra que je fasse un cours sur les techniques télécoms à l'ENSPTT pour assimiler enfin leur vocabulaire, leurs principes et leur méthode. Je suis étonné quand je vois un inspecteur des finances accepter de prendre la présidence du gigantesque automate qu'est le réseau télécom sans éprouver apparemment la moindre inquiétude...
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Les gens des télécoms croyaient, ou affectaient de croire, qu'un économiste est un avocat payé pour faire des calculs complaisants à l'appui des projets qu'on lui demande de défendre. Ce n'était pas ainsi que je concevais mon métier et d'ailleurs du Castel ne m'a jamais demandé rien d'autre qu'un travail honnête.
Je respectais pour ma part beaucoup le sérieux professionnel des télécommunicants. Ils se partageaient entre deux spécialités : les « transmetteurs », qui sont des physiciens, et les « commutants » qui sont des logiciens, et ils adoraient littéralement leur métier historique, la téléphonie filaire. Cela me changeait agréablement de l'INSEE où la statistique – qui occupe l'essentiel des effectifs – était alors moins considérée que la comptabilité nationale, les modèles économétriques et la théorie économique.
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France Telecom,
Histoire
mercredi 2 avril 2014
Agir pour l'iconomie : quelle stratégie adopter ?
(Exposé au colloque organisé par le CIGREF, Xerfi et l'institut de l'iconomie le 14 mars 2014)
Dans une entreprise, dans une institution, dans un pays, la fonction du stratège est d'indiquer une orientation, de poser à l'horizon du futur un repère qui oriente les volontés et les actions.
Aucune prospective, aucune stratégie ne pouvaient être pertinentes au XIXe siècle si elles ignoraient la mécanique et la chimie. Aucune ne peut l'être aujourd'hui si elle ignore l'informatisation. Dans le monde que celle-ci fait émerger, l'iconomie est un repère.
Les machines mécaniques ont percé les montagnes pour le chemin de fer, ont été les auxiliaires de la main d'oeuvre sur les chaînes de fabrication et des jambes pour les transports, ont industrialisé l'agriculture avec la chimie des engrais. L'informatisation transforme elle aussi la nature à laquelle sont confrontées les actions et les intentions car elle met en œuvre une ressource naturelle inépuisable : le cerveau humain. Ceux qui ignorent cela ne peuvent rien comprendre au monde dans lequel nous vivons aujourd'hui.
Jeremy Rifkin a donc tort lorsqu'il dit que la « troisième révolution industrielle » est celle de la transition énergétique, car celle-ci ne peut se concevoir qu'en tenant compte de la transition iconomique.
Après une révolution industrielle la macroéconomie est inopérante parce que les facteurs de crise résident dans la microéconomie, dans l'intimité des organisations et des processus : c'est là qu'il faut aller les dénicher.
L'informatisation a en effet des conséquences dans l'économie des entreprises, la psychologie des personnes, la sociologie des pouvoirs, la philosophie des techniques de la pensée et jusqu'aux valeurs qui orientent le destin des personnes, celui des institutions et celui des nations.
Si la technique apporte un Big Bang qui a transformé la nature, les conséquences de ce Big Bang outrepassent donc la sphère de la technique. Les blocages que l'informatisation rencontre s'expliquent par la crainte que ces conséquences suscitent.
Dans une entreprise, dans une institution, dans un pays, la fonction du stratège est d'indiquer une orientation, de poser à l'horizon du futur un repère qui oriente les volontés et les actions.
Aucune prospective, aucune stratégie ne pouvaient être pertinentes au XIXe siècle si elles ignoraient la mécanique et la chimie. Aucune ne peut l'être aujourd'hui si elle ignore l'informatisation. Dans le monde que celle-ci fait émerger, l'iconomie est un repère.
Les machines mécaniques ont percé les montagnes pour le chemin de fer, ont été les auxiliaires de la main d'oeuvre sur les chaînes de fabrication et des jambes pour les transports, ont industrialisé l'agriculture avec la chimie des engrais. L'informatisation transforme elle aussi la nature à laquelle sont confrontées les actions et les intentions car elle met en œuvre une ressource naturelle inépuisable : le cerveau humain. Ceux qui ignorent cela ne peuvent rien comprendre au monde dans lequel nous vivons aujourd'hui.
Jeremy Rifkin a donc tort lorsqu'il dit que la « troisième révolution industrielle » est celle de la transition énergétique, car celle-ci ne peut se concevoir qu'en tenant compte de la transition iconomique.
Après une révolution industrielle la macroéconomie est inopérante parce que les facteurs de crise résident dans la microéconomie, dans l'intimité des organisations et des processus : c'est là qu'il faut aller les dénicher.
L'informatisation a en effet des conséquences dans l'économie des entreprises, la psychologie des personnes, la sociologie des pouvoirs, la philosophie des techniques de la pensée et jusqu'aux valeurs qui orientent le destin des personnes, celui des institutions et celui des nations.
Si la technique apporte un Big Bang qui a transformé la nature, les conséquences de ce Big Bang outrepassent donc la sphère de la technique. Les blocages que l'informatisation rencontre s'expliquent par la crainte que ces conséquences suscitent.
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Le ministère du pléonasme, de la répétition et de plusieurs fois la même chose
Il ne suffit apparemment pas aujourd'hui d'être ministre des affaires étrangères : il faut être "ministre des affaires étrangères et du développement international". Je ne vois pas ce que le "développement international" ajoute aux affaires étrangères (développement de quoi, d'ailleurs ? de la "présence française dans le monde", du "rayonnement de la France", de l'internationalisation, de l'internationalisme, de l'international ?)
L'épidémie de pléonasmes n'a pas touché ce seul ministère. Il a fallu ajouter à l'écologie le développement durable et l'énergie car nous aurions pu croire qu'elle les ignorait. La grandeur de l'éducation nationale exigeait qu'on lui ajoutât, comme si cela n'allait pas de soi, l'enseignement supérieur et la recherche. Le titre prestigieux de ministre des finances a été plombé, lui, par la triste symbolique qui accompagne les comptes publics.
Le ministère de l'économie est aussi celui du redressement productif : mais comment s'occuper de l'économie sans devoir redresser la production, qui en a tant besoin ? Et pour faire bonne mesure, on lui a ajouté le numérique.
Quand on dit "ministère de l'agriculture", on sait que cela recouvre l'agro-alimentaire et la forêt. Mais il a fallu le dire explicitement, car comme nous sommes ignares nous risquons de l'ignorer.
Un sommet est atteint par le ministère du travail, de l'emploi et du dialogue social : trois façons de dire une seule et même chose.
Quelques ministères empilent un catalogue disparate : ministère des droits de la femme, de la ville, de la jeunesse et des sports ; ministère de la décentralisation, de la réforme de l'Etat et de la fonction publique ; ministère du logement et de l'égalité des territoires ; ministère de la culture et de la communication.
Saluons cependant quelques dénominations d'une élégante sobriété : garde des sceaux, ministre de la justice ; ministre des affaires sociales ; ministre de la défense ; ministre de l'intérieur ; ministre des outre-mer.
A la complexité des dénominations correspond, on peut le craindre, une pensée qui fuit la clarté et la simplicité. Ce n'est pas bon signe.
On croit donner plus d'autorité aux ministres en empilant des badges sur leurs épaules mais on obtient le résultat inverse car les dénominations historiques portent, dans leur sobriété, un symbole plus puissant que ces accumulations.
De même, l'avez-vous remarqué ? la féminisation des dénominations professionnelles a un effet contraire à celui qu'elle visait : dire qu'une femme est professeure, écrivaine, etc., c'est suggérer qu'elle est autre chose qu'un professeur ou qu'un écrivain et donc qu'elle leur est peut-être inférieure.
La dégradation du vocabulaire fait des victimes parfois imprévues.
L'épidémie de pléonasmes n'a pas touché ce seul ministère. Il a fallu ajouter à l'écologie le développement durable et l'énergie car nous aurions pu croire qu'elle les ignorait. La grandeur de l'éducation nationale exigeait qu'on lui ajoutât, comme si cela n'allait pas de soi, l'enseignement supérieur et la recherche. Le titre prestigieux de ministre des finances a été plombé, lui, par la triste symbolique qui accompagne les comptes publics.
Le ministère de l'économie est aussi celui du redressement productif : mais comment s'occuper de l'économie sans devoir redresser la production, qui en a tant besoin ? Et pour faire bonne mesure, on lui a ajouté le numérique.
Quand on dit "ministère de l'agriculture", on sait que cela recouvre l'agro-alimentaire et la forêt. Mais il a fallu le dire explicitement, car comme nous sommes ignares nous risquons de l'ignorer.
Un sommet est atteint par le ministère du travail, de l'emploi et du dialogue social : trois façons de dire une seule et même chose.
Quelques ministères empilent un catalogue disparate : ministère des droits de la femme, de la ville, de la jeunesse et des sports ; ministère de la décentralisation, de la réforme de l'Etat et de la fonction publique ; ministère du logement et de l'égalité des territoires ; ministère de la culture et de la communication.
Saluons cependant quelques dénominations d'une élégante sobriété : garde des sceaux, ministre de la justice ; ministre des affaires sociales ; ministre de la défense ; ministre de l'intérieur ; ministre des outre-mer.
A la complexité des dénominations correspond, on peut le craindre, une pensée qui fuit la clarté et la simplicité. Ce n'est pas bon signe.
On croit donner plus d'autorité aux ministres en empilant des badges sur leurs épaules mais on obtient le résultat inverse car les dénominations historiques portent, dans leur sobriété, un symbole plus puissant que ces accumulations.
De même, l'avez-vous remarqué ? la féminisation des dénominations professionnelles a un effet contraire à celui qu'elle visait : dire qu'une femme est professeure, écrivaine, etc., c'est suggérer qu'elle est autre chose qu'un professeur ou qu'un écrivain et donc qu'elle leur est peut-être inférieure.
La dégradation du vocabulaire fait des victimes parfois imprévues.
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mardi 18 mars 2014
Pour une approche historique du monde contemporain
« L'histoire n'est pas une science », disaient mes collègues de l'INSEE alors que je préparais ma thèse. Ils croyaient sans doute que seule la certitude des résultats permet de qualifier une discipline de « scientifique ».
Il est vrai que l'histoire, coincée entre un passé énigmatique et un futur imprévisible, ne peut pas parvenir à la certitude. Mais ne se trompaient-ils pas sur le critère de la scientificité ? Ne s'exagéreraient-t-ils pas par exemple la certitude des mathématiques ? Certes, leurs démonstrations sont certaines mais elles sont suspendues à des hypothèses : la géométrie du triangle (la somme des angles est égale à 180°, etc.) n'est ainsi exacte que dans l'espace euclidien, qui n'est pas plus « réel » que les espaces courbes.
L'histoire, elle, assume le caractère énigmatique du monde réel pour y repérer les faits, événements et structures qui déterminent son évolution. Tout comme la science économique, elle ambitionne de produire des modèles schématiques qui fourniront des points d'appui à la réflexion et à l'action.
Alors que la plupart des disciplines s'efforcent de fournir les praticiens en certitudes, l'histoire assume l'incertitude de ses résultats pour embrasser une situation réelle dans sa complexité. En contrepartie elle est libre de mobiliser, pour éclairer cette situation, les concepts et théories qu'ont élaborés les autres disciplines.
Il est vrai que l'histoire, coincée entre un passé énigmatique et un futur imprévisible, ne peut pas parvenir à la certitude. Mais ne se trompaient-ils pas sur le critère de la scientificité ? Ne s'exagéreraient-t-ils pas par exemple la certitude des mathématiques ? Certes, leurs démonstrations sont certaines mais elles sont suspendues à des hypothèses : la géométrie du triangle (la somme des angles est égale à 180°, etc.) n'est ainsi exacte que dans l'espace euclidien, qui n'est pas plus « réel » que les espaces courbes.
L'histoire, elle, assume le caractère énigmatique du monde réel pour y repérer les faits, événements et structures qui déterminent son évolution. Tout comme la science économique, elle ambitionne de produire des modèles schématiques qui fourniront des points d'appui à la réflexion et à l'action.
Alors que la plupart des disciplines s'efforcent de fournir les praticiens en certitudes, l'histoire assume l'incertitude de ses résultats pour embrasser une situation réelle dans sa complexité. En contrepartie elle est libre de mobiliser, pour éclairer cette situation, les concepts et théories qu'ont élaborés les autres disciplines.
lundi 17 mars 2014
Message de Moscou
Je reproduis ici le message daté du 17 mars 2014 que je viens de recevoir d'un ami russe, habitant de Moscou :
Merci pour les références que tu m'envoies à des publications dans les médias français, merci de m'avoir signalé l'excellent article de Svetlana Alexievitch, "Poutine et les bas instincts".
Je commence à concrétiser mes idées sur cette situation de crise. Mais les nouvelles, les changements interviennent chaque jour, voire chaque heure.
Le plus désespérant, c'est l'efficacité évidente de la propagande massive à la télévision d'Etat (il n'y en a pas d'autre chez nous). C'est une propagande à la Goebbels. Je ne me souviens pas d'une hystérie pareille : elle dépasse de loin celle qui régnait dans le médias en 1979 (Afghanistan) ou en 1968 (Tchécoslovaquie). Elle gagne les masses, même la jeunesse.
Svetlana Alexievitch a très bien décrit cette atmosphère étouffante. Son article date du 14 mars. Deux marches ont eu lieu à Moscou le samedi 15 mars - l'une pour, l'autre contre la ligne de Poutine. Peut-être en as-tu vu les échos dans les médias français. La seule chose encourageante de ces derniers mois est que la "marche pour la paix" a rassemblé quelques 50 000 personnes à Moscou - chiffre inouï. Parmi les gens honnêtes, personne n'y croyait plus.
Donc primo la propagande super-mensongère ne gagne pas tout le monde, et secundo Poutine ne peut pas ignorer ce fait avant d'ordonner d'attaquer l'Ukraine orientale, ce qui signifierait le déclenchement de la guerre civile en Ukraine et le risque d'un conflit mondial.
Merci pour les références que tu m'envoies à des publications dans les médias français, merci de m'avoir signalé l'excellent article de Svetlana Alexievitch, "Poutine et les bas instincts".
Je commence à concrétiser mes idées sur cette situation de crise. Mais les nouvelles, les changements interviennent chaque jour, voire chaque heure.
Le plus désespérant, c'est l'efficacité évidente de la propagande massive à la télévision d'Etat (il n'y en a pas d'autre chez nous). C'est une propagande à la Goebbels. Je ne me souviens pas d'une hystérie pareille : elle dépasse de loin celle qui régnait dans le médias en 1979 (Afghanistan) ou en 1968 (Tchécoslovaquie). Elle gagne les masses, même la jeunesse.
Svetlana Alexievitch a très bien décrit cette atmosphère étouffante. Son article date du 14 mars. Deux marches ont eu lieu à Moscou le samedi 15 mars - l'une pour, l'autre contre la ligne de Poutine. Peut-être en as-tu vu les échos dans les médias français. La seule chose encourageante de ces derniers mois est que la "marche pour la paix" a rassemblé quelques 50 000 personnes à Moscou - chiffre inouï. Parmi les gens honnêtes, personne n'y croyait plus.
Donc primo la propagande super-mensongère ne gagne pas tout le monde, et secundo Poutine ne peut pas ignorer ce fait avant d'ordonner d'attaquer l'Ukraine orientale, ce qui signifierait le déclenchement de la guerre civile en Ukraine et le risque d'un conflit mondial.
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vendredi 14 mars 2014
Un livre sur l'iconomie
En cliquant sur le lien ci-dessous :
vous téléchargerez le fichier pdf du livre intitulé Iconomie (1,331 Mo, 227 pages) publié en mars 2014 par les éditions Economica et Xerfi (préface de Laurent Faibis).
Vous pouvez aussi le commander chez Amazon.
Ce livre propose une orientation stratégique pour la sortie de crise.
Je vous souhaite une bonne lecture ! Vos commentaires sont les bienvenus.
vous téléchargerez le fichier pdf du livre intitulé Iconomie (1,331 Mo, 227 pages) publié en mars 2014 par les éditions Economica et Xerfi (préface de Laurent Faibis).
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Je vous souhaite une bonne lecture ! Vos commentaires sont les bienvenus.
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dimanche 9 mars 2014
Marre de « numérique »
Tout est ou doit être « numérique » : l'entreprise numérique, la société numérique, l'intelligence numérique etc. Le numérique, c'est chic, c'est branché : c'est à la mode.
Mais « numérique » n'est que le cache-sexe d'« informatique ». La feuille de vigne masque cette réalité : tout ce qui est numérique se condense dans des programmes, du matériel, l'Internet et le Web qui sont tous des réalisations informatiques. Sans programmes, sans processeurs, sans mémoires, sans réseaux, il n'y a pas de « numérique ».
Oui, me dira-t-on, mais le « numérique » c'est bien plus que le logiciel, les processeurs, les mémoires et les réseaux : cela contient aussi la sociologie des usages, la psychologie des utilisateurs, des effets sur l'économie des médias, etc.
Mais qui vous dit donc qu'« informatique » ne contient pas tout cela ? Si vous étiez attentif à l'étymologie, vous verriez que ce mot est forgé à partir d'« information » et d'« automate » et que l'« information » est ce qui donne une « forme intérieure » au cerveau humain, c'est-à-dire une capacité d'action. « Informatique » contient donc tout ce qu'il faut pour désigner à la fois la technique et l'éventail de ses conséquences anthropologiques.
« Numérique » prétend cacher la technique alors que pris à la lettre il désigne ce qu'il y a de plus technique dans l'informatique : le codage en zéro et un nécessaire au fonctionnement du processeur. Par un de ces retournements sémantiques fréquents dans l'usage de la langue, « numérique » en est venu à désigner, de façon d'ailleurs très floue, l'ensemble des dimensions sociologiques et autres de l'informatisation en les détachant de leur socle technique.
Mais « numérique » n'est que le cache-sexe d'« informatique ». La feuille de vigne masque cette réalité : tout ce qui est numérique se condense dans des programmes, du matériel, l'Internet et le Web qui sont tous des réalisations informatiques. Sans programmes, sans processeurs, sans mémoires, sans réseaux, il n'y a pas de « numérique ».
Oui, me dira-t-on, mais le « numérique » c'est bien plus que le logiciel, les processeurs, les mémoires et les réseaux : cela contient aussi la sociologie des usages, la psychologie des utilisateurs, des effets sur l'économie des médias, etc.
Mais qui vous dit donc qu'« informatique » ne contient pas tout cela ? Si vous étiez attentif à l'étymologie, vous verriez que ce mot est forgé à partir d'« information » et d'« automate » et que l'« information » est ce qui donne une « forme intérieure » au cerveau humain, c'est-à-dire une capacité d'action. « Informatique » contient donc tout ce qu'il faut pour désigner à la fois la technique et l'éventail de ses conséquences anthropologiques.
« Numérique » prétend cacher la technique alors que pris à la lettre il désigne ce qu'il y a de plus technique dans l'informatique : le codage en zéro et un nécessaire au fonctionnement du processeur. Par un de ces retournements sémantiques fréquents dans l'usage de la langue, « numérique » en est venu à désigner, de façon d'ailleurs très floue, l'ensemble des dimensions sociologiques et autres de l'informatisation en les détachant de leur socle technique.
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Macro ou Micro ?
Deux écoles de pensée se partagent la science économique : la macro-économie et la micro-économie (il existe un entre-deux que l'on appelle méso-économie, mais c'est en fait une branche de la micro-économie).
Alors que la micro raisonne sur des « individus » (personnes, entreprises, institutions) la macro raisonne sur des agrégats. La macro domine dans la politique mais je vais montrer pourquoi il est temps de revenir à la micro.
Donnons quelques exemples de la macro. Les modèles du commerce international (Ricardo, Heckscher-Ohlin, Helpman) font comme si un pays entier était un individu. D'autres modèles ouvrent cette boîte noire pour distinguer des agrégats dont chacun sera, de nouveau, traité comme un individu selon la méthode de l'« agent représentatif » : l'« Entreprise », le « Consommateur », l’« État ». Ces boîtes noires là peuvent encore être ouvertes : on distinguera dans le système productif des « agents » représentant chacun un secteur d'entreprises, etc.
La technique qui consiste à représenter un agrégat par un « agent représentatif » que l'on suppose doté de comportements est la clé de la macro : ainsi l'« Entreprise » produit, investit, stocke, s'endette, embauche, tout cela formalisé par des équations.
La macro s'appuie sur la comptabilité nationale, qui évalue les agrégats et fournit de quoi étalonner les équations. La politique économique s'en nourrit car les équations permettent, croit-on, d'anticiper les conséquences des « mesures » : évaluer par exemple l'effet du niveau des charges sociales sur l'emploi, celui de l'impôt sur les sociétés sur l'investissement, etc.
Ainsi la réflexion des politiques, des planificateurs, des modélisateurs s'appuie sur la macro, à laquelle la comptabilité nationale fournit une base statistique supposée « scientifique » et « objective » (voir le commentaire sur Une histoire de la comptabilité nationale).
Mais la macro est devenue une prison dont la réflexion doit aujourd'hui sortir.
Alors que la micro raisonne sur des « individus » (personnes, entreprises, institutions) la macro raisonne sur des agrégats. La macro domine dans la politique mais je vais montrer pourquoi il est temps de revenir à la micro.
* *
Donnons quelques exemples de la macro. Les modèles du commerce international (Ricardo, Heckscher-Ohlin, Helpman) font comme si un pays entier était un individu. D'autres modèles ouvrent cette boîte noire pour distinguer des agrégats dont chacun sera, de nouveau, traité comme un individu selon la méthode de l'« agent représentatif » : l'« Entreprise », le « Consommateur », l’« État ». Ces boîtes noires là peuvent encore être ouvertes : on distinguera dans le système productif des « agents » représentant chacun un secteur d'entreprises, etc.
La technique qui consiste à représenter un agrégat par un « agent représentatif » que l'on suppose doté de comportements est la clé de la macro : ainsi l'« Entreprise » produit, investit, stocke, s'endette, embauche, tout cela formalisé par des équations.
La macro s'appuie sur la comptabilité nationale, qui évalue les agrégats et fournit de quoi étalonner les équations. La politique économique s'en nourrit car les équations permettent, croit-on, d'anticiper les conséquences des « mesures » : évaluer par exemple l'effet du niveau des charges sociales sur l'emploi, celui de l'impôt sur les sociétés sur l'investissement, etc.
Ainsi la réflexion des politiques, des planificateurs, des modélisateurs s'appuie sur la macro, à laquelle la comptabilité nationale fournit une base statistique supposée « scientifique » et « objective » (voir le commentaire sur Une histoire de la comptabilité nationale).
Mais la macro est devenue une prison dont la réflexion doit aujourd'hui sortir.
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mercredi 26 février 2014
Vers l'iconomie
(Article publié dans le numéro d'avril 2014 de L'ENA hors les murs, revue de l'association des anciens élèves de l'ENA)
Pour comprendre le monde dans lequel nous vivons il faut voir que l'informatisation a transformé la nature, si l'on nomme ainsi ce à quoi les intentions et les actions humaines sont confrontées. Ceux qui n'en ont pas conscience ne peuvent ni interpréter la situation présente, ni définir une stratégie.
Le néologisme « iconomie » (eikon, image, et nomos, organisation) désigne la société que l'informatisation fait émerger. Cette émergence a commencé vers 1975 : le choc pétrolier avait introduit dans le prix de l'énergie une volatilité qui introduisait une incertitude mortelle dans les modèles d'affaires et les entreprises voulaient récupérer, sous forme de productivité, la hausse des salaires concédée en 1968.
Or l'informatique apparaissait comme un recours. Les terminaux l'avaient fait sortir des mains des informaticiens pour l'offrir sur tous les bureaux. Des voyages aux États-Unis et la lecture de quelques livres avaient convaincu certains dirigeants de l'importance des systèmes d'information.
Pierre Nora et Alain Minc, qui avaient du flair, publièrent dès 1978 L'informatisation de la société. Bertrand Gille publia la même année une Histoire des techniques qui découpe l'histoire en périodes caractérisées chacune par un système technique, synergie de quelques techniques fondamentales.
Alors que la première révolution industrielle (1775) s'appuyait sur la mécanique et la chimie et que la deuxième (1875) leur avait ajouté une énergie commode avec l'électricité et le pétrole, la troisième révolution industrielle s'appuie, dit Gille, sur une synergie radicalement nouvelle : elle met en œuvre la synergie de la microélectronique, du logiciel et de l'Internet.
Chacune de ces révolutions a fait émerger un monde nouveau, chacune a eu des conséquences qui outrepassent son contenu technique pour s'étendre à tous les domaines de l'anthropologie : économie, psychologie des individus, sociologie des pouvoirs et des classes sociales, philosophie en tant que technique de la pensée, métaphysique des valeurs et des choix fondamentaux.
Pour comprendre le monde dans lequel nous vivons il faut voir que l'informatisation a transformé la nature, si l'on nomme ainsi ce à quoi les intentions et les actions humaines sont confrontées. Ceux qui n'en ont pas conscience ne peuvent ni interpréter la situation présente, ni définir une stratégie.
Le néologisme « iconomie » (eikon, image, et nomos, organisation) désigne la société que l'informatisation fait émerger. Cette émergence a commencé vers 1975 : le choc pétrolier avait introduit dans le prix de l'énergie une volatilité qui introduisait une incertitude mortelle dans les modèles d'affaires et les entreprises voulaient récupérer, sous forme de productivité, la hausse des salaires concédée en 1968.
Or l'informatique apparaissait comme un recours. Les terminaux l'avaient fait sortir des mains des informaticiens pour l'offrir sur tous les bureaux. Des voyages aux États-Unis et la lecture de quelques livres avaient convaincu certains dirigeants de l'importance des systèmes d'information.
Pierre Nora et Alain Minc, qui avaient du flair, publièrent dès 1978 L'informatisation de la société. Bertrand Gille publia la même année une Histoire des techniques qui découpe l'histoire en périodes caractérisées chacune par un système technique, synergie de quelques techniques fondamentales.
Alors que la première révolution industrielle (1775) s'appuyait sur la mécanique et la chimie et que la deuxième (1875) leur avait ajouté une énergie commode avec l'électricité et le pétrole, la troisième révolution industrielle s'appuie, dit Gille, sur une synergie radicalement nouvelle : elle met en œuvre la synergie de la microélectronique, du logiciel et de l'Internet.
Chacune de ces révolutions a fait émerger un monde nouveau, chacune a eu des conséquences qui outrepassent son contenu technique pour s'étendre à tous les domaines de l'anthropologie : économie, psychologie des individus, sociologie des pouvoirs et des classes sociales, philosophie en tant que technique de la pensée, métaphysique des valeurs et des choix fondamentaux.
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