lundi 15 juillet 2019

La vie dans les Cévennes, n° 4

Entretien avec M. Louis Nicolas

(publié dans le bulletin municipal de Sénéchas, mai 2009)

Je suis né à Chalap en 1919, le 25 avril. De tous ceux qui sont nés alors dans le hameau, je suis le seul qui y soit resté. J'ai été à l'école à Martinenches. De 5 à 13-14 ans, il n'y avait qu'une classe. L'institutrice était Mlle Dussart. Il fallait vingt minutes pour descendre le chemin et les six ou sept autres enfants, qui étaient de l'assistance publique, étaient privilégiés par rapport à moi : ils portaient les galoches de l'AP alors que je ne pouvais pas courir avec mes sabots. Et les sabots se cassaient souvent…


Mes sœurs ont fait des études mais mon père voulait que je sois paysan. Il a commencé à me former alors que j'avais huit ans. Je le suivais dans les champs, il travaillait à l'ancienne : il préférait bêcher plutôt que de labourer car il trouvait qu'ainsi c'était mieux fait.

Je suis sorti de l'école à 13 ans, tout heureux de pouvoir enfin piocher et porter le fardeau. En 1939 j'aurais dû partir à l'armée, une pleurésie m'a sauvé. J'ai été réformé mais j'en ai gardé des séquelles : pendant quatre ou cinq ans je n'ai pu rien faire d'autre que m'occuper du jardin. Puis progressivement ma santé est revenue et je me suis remis à travailler.

J'ai perdu mon père alors que j'avais 25 ans. Je me suis retrouvé alors chef d'exploitation. Mais c'était dur de gagner sa croûte ! Dans les années 1950 j'ai passé le permis de conduire, j'ai acheté une camionnette B14 décapotable et je me suis mis au commerce : acheter et revendre rapportait plus que de produire.

Je me suis marié tard, à 50 ans. Nous avons eu Marie-Jo qui est née à Alès en 1971. C'était la relève ! Elle est maintenant professeur d'économie à Bagnols-sur-Cèze.

*     *

J'ai été courtier en châtaignes : je les ramassais dans les villages et j'allais les vendre en Ardèche à des expéditeurs qui les envoyaient à Paris, en Allemagne, en Angleterre. J'achetais des pommes jusqu'en Lozère : il n'y avait alors que les variétés d'ici, des pommes rouges non traitées que je vendais jusqu'en avril. L'arrivée de la Golden m'a fait du tort… Je vendais des fruits et des légumes sur les marchés à Génolhac, Vialas etc. J'achetais à Tarabias, Dieusses, Sénéchas, Aujac etc. Je ramassais de tout : le houx, le gui, mais pas les champignons.

J'ai créé des marchés dans des villages où il n'en existait pas. Je gagnais bien ma vie. La clientèle était intéressante, je faisais mon possible pour la conserver et mes clients étaient fidèles. Je continuais quand même à cultiver la pomme de terre. J'ai capté des sources pour pouvoir l'irriguer.

J'ai continué le commerce jusqu'à 75 ans.À cette époque on arrêtait le marché l'hiver : on commençait le 15 juin, on finissait le 15 septembre. J'étais au marché le samedi à Génolhac. Je faisais la vallée de l'Auzonnet, Les Mages, St-Jean-de-Valériscle, St-Florent. Je vendais de huit heures du matin jusqu'à la nuit.

*     *

En 1947 il n'y avait que dix conseillers municipaux et il en fallait onze : on m'a pris comme onzième. Je suis resté conseiller pendant 42 ans et j'ai connu quatre maires.

Le gros problème de la commune, c'était qu'il n'y avait pas de routes mais seulement des chemins pour les charrettes. Il était par exemple impossible d'accéder à Chalap en voiture. La pluie ravinait les chemins et on devait peiner pour les entretenir. Comme il n'y avait pas d'employés municipaux il fallait tout faire soi-même. Après un gros orage nous devions tout laisser pour porter des pierres et boucher les ornières. On en avait pour une semaine, c'était un gros travail.

Un jour il y a eu une loi : on pouvait obtenir une route départementale si on débouchait d'une commune à l'autre avec une largeur d'au moins cinq mètres. Il a fallu faire la route avec des bulls puis la goudronner. La plus ancienne route de la commune est celle qui va du col de Charnavas à Aujac.

Au conseil on s'entendait très bien parce que souvent, après les réunions, on allait manger ensemble au restaurant : il y avait alors deux cafés à Sénéchas. On se disputait cependant parfois parce que certains hameaux en auraient voulu plus que d'autres. On se fâchait, puis on se réconciliait.

Il y a eu de grands progrès à Sénéchas ! On a aujourd'hui des employés communaux, on n'a plus à entretenir les chemins comme autrefois. Mais il reste un autre problème à résoudre : la modernisation du réseau télécoms, l'accès à l'Internet à haut débit. On en a besoin.

Maintenant je suis bien sûr à la retraite. J'aime à regarder les matchs de foot à la télévision, même si je n'ai jamais fait de foot moi-même. J'aime à lire le journal, à faire les mots fléchés, les mots croisés. Je ne vois pas passer les journées.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire