Entretien avec Mme Berthe Perrier
(publié dans le bulletin municipal de Sénéchas, juin 2011)
Je suis née en 1914. Notre maison était tout près de l'école de Martinenches, trop près même pour mon goût : j'aurais préféré pouvoir faire comme les autres écoliers un peu de chemin pour m'y rendre, et aussi me trouver un peu plus loin de mes parents pendant la classe !
Il y avait deux classes, nous étions une trentaine d'élèves y compris les enfants de l'assistance publique qui étaient alors très nombreux. Cette école a été fermée le 30 juin 1970.
M. et Mme Boissier, les instituteurs, allaient parfois promener un moment l'après-midi, nous étions dans la cour de l'école. Un jour nous sommes montés dans l'escalier, il y avait un porte-manteau. J'ai mis le chapeau, le pardessus, et j'ai pris la canne pour me déguiser. Voilà qu'on me crie qu'ils reviennent ! Je suis vite remontée pour tout remettre en place...
Mes parents tenaient un café à Martinenches. Le dimanche, les gens venaient pour jouer aux boules, aux quilles, à la manille, faire la conversation et passer un bon moment. Il en venait de Tarabias, Dieusses, Sénéchas, Peyremale. Tous les dimanches ils venaient souper, ils racontaient ce qu'ils avaient fait pendant la semaine, ils parlaient des foires. On jouait aux cartes, et à minuit passé ils ne partaient pas encore. C'était plus vivant que maintenant, c'était famille... On n'avait pas les moyens de distraction modernes, mais on avait le temps de se rendre visite.
Comme il n'y avait pas d'automobile on n'allait jamais bien loin : on allait à pied ou à vélo, on rencontrait les garçons du coin. J'allais parfois dormir chez ma tante à Saint-Ambroix, j'allais à Bordezac pour la Saint-Joseph avec la Marguerite Polge et le René.
Et les fêtes votives, mon Dieu ! C'était le bal, il y avait du monde plein les prés, les musiciens de l'orchestre se mettaient sur un mur, on dansait. Il n'y avait pas de problème pour garer les voitures, il n'y en avait pas ! Les gens couchaient dans les prés... La fête votive de Martinenches était renommée. Mais je parle là de 1930-35, tout ça s'est arrêté après la guerre.
Nous étions trois filles à la maison, ça attirait la jeunesse. Le café était un lieu de rassemblement, il y avait toujours du monde. À côté du café se trouvait l'épicerie que tenait mon frère Raoul qui était boulanger et faisait le pain. Il faisait aussi marcher sa propriété, élevait des vaches, rentrait le foin etc. Je me levais à cinq heures du matin pour traire les vaches.
Mon grand-père avait la licence pour le bureau de tabac et quand il est mort il l'a transmise à mon frère qui a repris tout le commerce : boulangerie, café, épicerie. Les deux maisons se tenaient.
Nous avions une quarantaine de ruches, il fallait s'occuper des abeilles. Après la mort de mon père, Yves, notre cousin de Bessèges, est venu les soigner. Nous devions presser le miel. Il faut en laisser un morceau dans la ruche pour que les abeilles puissent faire leur deuil, sinon elles crèvent. Nous ne l'avons pas fait, alors elles ont crevé...
Nous avions des vaches, des moutons, une chèvre et deux cochons. Quand il fallait tuer les cochons, c'était toute une histoire ! Mon père voulait bien tuer les cochons des autres mais il ne voulait pas tuer les siens, ça lui faisait trop mal au cœur. On faisait de la charcuterie, des fricandeaux et de la saucisse.
Nous avions un cochon, un lapin et un chat. On les sortait dans un pré et ils jouaient tous les trois ensemble. Un jour le cochon a tellement couru après les autres que, sur son élan, il a sauté le muret. Nous n'osions pas regarder ce qui s'était passé mais il a remonté tranquillement l'escalier. Quand on l'a tué, mon père a vu qu'il s'était tout de même fêlé un os.
En 1930 nous avons eu aussi un sanglier à la maison. Mon frère était allé à la chasse à Concoules et il a ramassé un petit marcassin, tout petitou, que nous avons élevé au biberon. Ce sanglier était très familier : il accompagnait mon père au travail, il suivait l’Élodie quand elle allait garder - il lui passait entre les jambes et la faisait tomber ! Nous lui avions mis un grelot, nous l'entendions courir, il montait, il faisait un tour puis il revenait. Quand nous revenions de l'école, il nous courait après. L'hiver, nous lui lancions des boules de neige.
Il y avait alors beaucoup moins de sangliers qu'aujourd'hui. Un jour une auto s'est arrêtée, le chauffeur est descendu tout pâle et a dit « Mon Dieu, c'est pas possible, je viens de rencontrer un sanglier ! » Mon frère lui a répondu : « Mais c'est le nôtre ! » et il a été bien étonné. Aujourd'hui, bien sûr, c'est différent : un automobiliste rencontre souvent des sangliers sur sa route. Il y en a trop maintenant, les murets sont tout démolis, le sol est tout soulevé, on ne sait plus où mettre les pieds.
À la fin notre sanglier est devenu méchant. Il pesait 80 kg, il a fallu l'enfermer. Quand on a tué le cochon, on l'a tué aussi et on a tout mélangé pour faire de la charcuterie.
Nous avions de bons voisins, les Robert. On se rendait service et s'il faisait orage ou mauvais temps ils descendaient nous voir. Nous connaissions tout le monde. Mme Aubin venait faire ses courses à l'épicerie, elle achetait les petits beurres avec la bande bleue qui existent toujours, je crois. Nous avons connu tous ses enfants, nous connaissions aussi tous les gens de Charnavas : le Jérôme, le Fortuné, la Louisette...
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