dimanche 13 décembre 2020

Pour comprendre la 5G

Pour « comprendre » la 5G, il faut considérer successivement trois mondes très différents :
-- d'abord le monde des télécoms mobiles avec sa physique et l'évolution de ses techniques,
-- puis le monde des services que la 5G permettra de déployer,
-- enfin le monde des « modèles d'affaires » qu'elle va faire émerger.

Le monde de la technique

La physique des ondes

Les ondes électromagnétiques subissent un affaiblissement qui croit avec la distance au point d’émission. Elles ont été utilisées pour transporter le signal codé en morse, puis la phonie, le transport de données entre des ordinateurs, enfin la vidéo.

Une onde porteuse est modulée (en amplitude, fréquence ou phase) afin de transporter le dessin du signal (son de la voix, bit des données) qui sera reconnu par le récepteur. La modulation étale les fréquences, autour de celle de l’onde porteuse, selon une « largeur de bande » comportant les fréquences dont l’affaiblissement relatif est inférieur à 3dB.

Le transport de l’onde peut être canalisé par un câble (paire torsadée, câble coaxial, fibre optique), ce qui permet une portée supérieure à celle obtenue dans l’espace hertzien.

La sensibilité de l’oreille humaine aux ondes de pression que l’air transporte va de 15 Hz à 16 kHz ; le téléphone analogique a utilisé une bande de 300 à 3400 kHz, jugée suffisante pour garantir l’intelligibilité de la parole mais au prix d’une déformation qui rend difficile la distinction des consonnes (b et v, s et f, etc.) et interdit la diffusion musicale de bonne qualité.

jeudi 10 décembre 2020

Benjamin Cuq, Carlos Ghosn, autopsie d’un désastre, First, 2020

Ce livre écrit à la diable est un dossier à charge. J’aurais préféré qu’il fût mieux écrit et qu'il fût à décharge autant qu’à charge, comme tout dossier d’instruction devrait l’être. Mais enfin la charge est lourde et s’il lui manque le contrepoids d’une décharge, les éléments qu’elle apporte sont probants.

Carlos Ghosn y apparaît comme un homme animé par le désir de soigner une blessure intime, causée peut-être par les mésaventures judiciaires de son père. Il dit être fier de ne pas être du sérail mais cette affirmation trop répétée révèle un regret et, sans doute, un complexe d’infériorité.

Bien qu’il soit polytechnicien et passé par l’École des mines Ghosn n’appartient pas en effet au Corps des mines qui, par tradition, accueille les mieux classés des polytechniciens et forme au sein de l’appareil de l’État une toute petite élite : il n’est qu’ingénieur civil des mines, ce qui veut simplement dire qu’après l’X il a suivi les cours de l’École des mines pour acquérir une spécialité et un diplôme de plus.

Ceux, nombreux, qui ignorent cette nuance et croient, comme le fait Cuq (p . 137), que Ghosn appartient à cette petite élite, lui attribuent d’office l’intelligence supérieure que ses membres sont censés posséder. La foi dans l’estampille que procure un bon classement scolaire fait chez nous des ravages... et en l’occurrence elle est déplacée.

Ghosn, dit Cuq, n’aime que lui-même et sa famille, prolongement de sa personne. Il n’aime ni l’entreprise Renault ni la France et il déteste notre État. Ce qui l’intéresse, c’est s’affirmer, dominer, et pour cela il s’appuie sur la logique sommaire du « cost killer ». Elle lui a réussi au Japon : Nissan avait besoin d’une cure d’amaigrissement, il la lui a administrée avec une brutalité qui aurait été impossible pour un Japonais. Mais cette logique ne suffit pas à tout.

mercredi 18 novembre 2020

Mise en forme des publications de volle.com

Ce que j’ai publié depuis 1998 a un petit nombre de lecteurs fidèles : ils m’écrivent que cette lecture leur a été utile.

Surfer sur un site Web n’est cependant pas confortable. J’ai donc composé des documents pdf rassemblant chacun ce qui a été publié dans une année : les textes de 2019 sont ainsi accessibles à l’adresse http://volle.com/travaux/Documents2019.pdf, et pour les années 2000 à 2019 l’adresse se compose de façon analogue (il me reste à composer les années 1998 et 1999). Je suis reconnaissant envers les lecteurs qui, comme l’a fait Alain Godinot, me signalent des coquilles et autres erreurs.

La lecture étant plus agréable sur papier, ces documents sont progressivement publiés sur Amazon.

Les volumes suivants sont disponibles :
Documents 2019, 165 pages
Documents 2018, 183 pages
Documents 2017, 196 pages
Documents 2016, 137 pages
Documents 2015, 303 pages
Documents 2014, 247 pages
Documents 2013, 261 pages
Documents 2012, 189 pages
Documents 2010, 296 pages
Documents 2009, 305 pages
Documents 2001, 476 pages
Documents 2000, 433 pages
Documents 1999, 238 pages
Documents 1998, 324 pages

Seul le format pdf permettant d’actionner les liens hypertexte, le livre et les documents pdf se compléteront mutuellement.

Je souhaite une bonne lecture à ceux qui entreprendront de fouiller le buisson de ces écrits ! Ils y trouveront des commentaires de lectures et ce que j’ai pu écrire en plus de vingt ans sur l’informatisation et ses conséquences pour les institutions, la pensée et l’action.

Fortune et mort de La Vauguyon

Ce texte extrait des Mémoires de Saint-Simon fait partie de la série "Un peu de lecture pendant les vacances"

Le dimanche 29 novembre [1693], le roi sortant du salut apprit, par le baron de Beauvais, que La Vauguyon s'était tué le matin de deux coups de pistolet dans son lit, qu'il se donna dans la gorge, après s'être défait de ses gens sous prétexte de les envoyer à la messe. Il faut dire un mot de ces deux hommes: La Vauguyon était un des plus petits et des plus pauvres gentilshommes de France. Son nom était Bétoulat, et il porta le nom de Fromenteau. C'était un homme parfaitement bien fait, mais plus que brun et d'une figure espagnole. Il avait de la grâce, une voix charmante, qu'il savait très bien accompagner du luth et de la guitare, avec cela le langage des femmes, de l'esprit et insinuant.

Avec ces talents et d'autres plus cachés mais utiles à la galanterie, il se fourra chez Mme de Beauvais, première femme de chambre de la reine mère et dans sa plus intime confidence, et à qui tout le monde faisait d'autant plus la cour qu'elle ne s'était pas mise moins bien avec le roi, dont elle passait pour avoir eu le pucelage. Je l'ai encore vue vieille, chassieuse et borgnesse, à la toilette de Mme la dauphine de Bavière où toute la cour lui faisait merveilles, parce que de temps en temps elle venait à Versailles, où elle causait toujours avec le roi en particulier, qui avait conservé beaucoup de considération pour elle. Son fils, qui s'était fait appeler le baron de Beauvais, avait la capitainerie des plaines d'autour de Paris. Il avait été élevé, au subalterne près, avec le roi; il avait été de ses ballets et de ses parties, et galant, hardi, bien fait, soutenu par sa mère et par un goût personnel du roi, il avait tenu son coin, mêlé avec l'élite de la cour, et depuis traité du roi toute sa vie avec une distinction qui le faisait craindre et rechercher. Il était fin courtisan et gâté, mais ami à rompre des glaces auprès du roi avec succès, et ennemi de même; d'ailleurs honnête homme et toutefois respectueux avec les seigneurs. Je l'ai vu encore donner les modes.

lundi 16 novembre 2020

Un tour de Lauzun

Ce texte extrait des Mémoires de Saint-Simon fait partie de la série "Un peu de lecture pendant les vacances"

Il arriva [lors de la revue des troupes à Compiègne en 1698] une plaisante aventure au comte de Tessé. Il était colonel général des dragons. M. de Lauzun lui demanda deux jours auparavant, avec cet air de bonté, de douceur et de simplicité qu'il prenait presque toujours, s'il avait songé à ce qu'il lui fallait pour saluer le roi à la tête des dragons, et là-dessus, entrèrent en récit du cheval, de l'habit et de l'équipage. Après les louanges, « mais le chapeau, lui dit bonnement Lauzun, je ne vous en entends point parler? — Mais non, répondit l'autre, je compte d'avoir un bonnet. — Un bonnet! reprit Lauzun, mais y pensez-vous! un bonnet! cela est bon pour tous les autres, mais le colonel général avoir un bonnet! monsieur le comte, vous n'y pensez pas. — Comment donc? lui dit Tessé, qu'aurais-je donc? » Lauzun le fit douter, et se fit prier longtemps, et lui faisant accroire qu'il savait mieux qu'il ne disait; enfin, vaincu par ses prières, il lui dit qu'il ne lui voulait pas laisser commettre une si lourde faute, que cette charge ayant été créée pour lui, il en savait bien toutes les distinctions dont une des principales était, lorsque le roi voyait les dragons, d'avoir un chapeau gris. Tessé surpris avoue son ignorance, et, dans l'effroi de la sottise où il serait tombé sans cet avis si à propos, se répand en actions de grâces, et s'en va vite chez lui dépêcher un de ses gens à Paris pour lui rapporter un chapeau gris. Le duc de Lauzun avait bien pris garde à tirer adroitement Tessé à part pour lui donner cette instruction, et qu'elle ne fût entendue de personne; il se doutait bien que Tessé dans la honte de son ignorance ne s'en vanterait à personne, et lui aussi se garda bien d'en parler.

vendredi 13 novembre 2020

Nouvelles de volle.com

Vidéo
La vidéo du "discours du président"

Philosophie
Les époques de la vérité

Informatique
Randonnée au pays des Hackers

La vie dans l'entreprise
Le Parador, roman

Publication des documents 2019
En livre pour une lecture commode
Version pdf pour pouvoir suivre les liens hypertexte.

Les époques de la vérité

La vérité comme certitude

Il fut un temps où la vérité se trouvait dans des écritures dictées ou même écrites par Dieu et enrichies par les commentaires des Pères de l’Église. Les clercs, qui seuls pouvaient les lire, étaient pour le simple peuple des intermédiaires obligés.

La Terre était le centre d’un Univers vieux de 4 000 ans et qui tournait autour d’elle. L’être humain, image de Dieu, était le sommet de la création. La fin du monde était proche : elle serait amorcée par une apocalypse suivie par le triomphe du royaume de Dieu et la résurrection des morts.

La vie terrestre était l’attente de la vie éternelle, seule vie véritable. Si l’absolution lavait les péchés que commettait la chair, celle-ci avait une peur affreuse de l’enfer promis par les clercs aux mécréants et pécheurs endurcis.

Cette vérité était complète, stable et certaine car transmise par une autorité qui expliquait tout et jusqu’à l’inexplicable : les épidémies, catastrophes naturelles et désastres de la guerre étaient autant de manifestations de la colère de Dieu en réponse aux péchés des hommes, colère à laquelle il fallait répondre par des prières, des processions et un renfort d’ascétisme. Les églises, cathédrales et monastères faisaient monter des prières vers le Ciel, appelant les grâces qui descendaient en retour.

L’évidence de cette vérité procurait un socle à la vie en société. Si la vie matérielle était dure, courte et violente, la pensée ne connaissait pas les tourments du doute car celui-ci était impossible et inimaginable, sauf cas pathologique et rarissime : il suffisait de se laisser porter par la croyance commune.

La question qui nous occupe ici, on le comprend, n’est pas de savoir si cette vérité était « vraie » ou non mais de comprendre, de sentir comment elle a pu être vécue. Dans ses Mémoires Saint-Simon qualifie d’« horrible » la mort d’une personne morte dans son sommeil, qui nous semble pourtant bien douce, car elle n’a pas pu recevoir les derniers sacrements : cet exemple illustre ce qui sépare notre temps de celui-là.

La question n’est évidemment pas non plus de savoir si les personnes qui adhéraient à cette vérité étaient intelligentes ou non. La parole du Christ, qui s’adresse à l’intuition, a occasionné une méditation vigoureuse et suscité l’art de l’évocation symbolique dont témoignent les fresques et sculptures des églises romanes. Une culture, une civilisation s’étaient ainsi bâties, partagées par tout un peuple.

Elles portaient cependant en germe ce qui allait les briser.

lundi 9 novembre 2020

Randonnée au pays des hackers

Les hackers sont les virtuoses de l’informatique. Comme tous les virtuoses ils ont acquis dans le plus jeune âge des réflexes et des habitudes qui se sont gravés dans leur système nerveux et leur donnent des aptitudes exceptionnelles. Edward Snowden1 s’est ainsi intéressé alors qu’il était tout petit aux jeux sur ordinateur, puis sa curiosité l’a poussé à programmer alors qu’il n’était qu’un enfant.

Cet itinéraire a été celui de la plupart des hackers. On ne devient pas hacker sur le tard car les habitudes, les réflexes, la mémoire qui permettent d’agir en virtuose dans l’interface de commande de l’ordinateur ne peuvent plus se former aussi efficacement après l’âge de dix ou douze ans.

Il en est de même des pianistes : il faut avoir commencé très jeune pour être plus tard capable de jouer de mémoire lors d’un concert. La qualité des interprétations étant inégale, un virtuose n’est pas toujours un bon musicien : une différence analogue existe sans doute parmi les hackers.

L’espace de travail du hacker est la fenêtre du terminal plus que l’interface graphique qui est si commode pour le simple utilisateur. Sylvain Ellenstein et César (dit « Pacemaker ») dans Le bureau des légendes, Elliot Alderson dans Mr. Robot, Marcus Yallow dans Little Brother2, tapent à toute vitesse des lignes de code mystérieuses pour le non-initié.

Steven Levy a décrit dans Hackers la vie de ceux des années 60 à qui nous devons le micro-ordinateur. Programmer assidûment n’est pas sans conséquences psychologiques3 : si vous dites « Peux-tu me donner l’heure ? » à l’un d’eux, il répondra « Oui, je peux » et en restera là car vous n’avez pas exactement demandé quelle heure il était.

lundi 2 novembre 2020

La vidéo du « Discours du président »

Après le texte, voici la vidéo du « discours du président » :


Que pensez-vous de ce discours ? Le jugez-vous réaliste, convaincant, mobilisateur ? Ou au contraire irréaliste, « à côté de la plaque », voire même révoltant ?

S'il vous a convaincu, n'hésitez pas à partager cette vidéo !

lundi 12 octobre 2020

Huawei : un entrepreneur et son entreprise

Le livre de Vincent Ducrey, Un succès nommé Huawei, Eyrolles 2019, contient une leçon de stratégie : sa lecture sera utile à ceux pour qui la vie d’un entrepreneur est quelque chose d'énigmatique. J’en cite ici quelques éléments.

*     *

Ren Zhengfei 任正非, le « Steve Jobs chinois », est né en 1944. Comme toutes les familles chinoises à cette époque la sienne a connu la pauvreté, puis les drames de la révolution culturelle (1966-1976).

L’éducation qu’il a reçue de ses parents l’a doté d’un caractère bien trempé. Il s’est donné par la lecture une bonne formation intellectuelle qui sera ensuite confortée par les connaissances techniques acquises d’abord dans une entreprise textile de pointe dont il connaît à fond les équipements, puis dans l’armée où il participe à la conception du réseau militaire de télécoms.

L’armée comprimant ses effectifs, il la quitte en 1983 pour entrer comme directeur-adjoint de la filiale électronique d’un groupe immobilier à Shenzen, ville en croissance rapide où il s’installe avec sa famille. Grugé par un partenaire, il fait perdre à cette entreprise une somme importante qu’il est incapable de rembourser. Il est alors licencié, sa femme divorce : criblé de dettes, il sombre dans la dépression.

Pour s’en sortir il crée en 1987 (à 43 ans) une entreprise d’import-export, Huawei 华为, qui fera commerce de tout et jusqu’à des pilules amaigrissantes.

Huawei importera notamment des PABX, commutateurs téléphoniques qui s’installent dans les entreprises. Ils se vendent bien car le pays s’équipe rapidement. Ren Zhengfei amorce alors une évolution qui ne s’interrompra pas.

dimanche 11 octobre 2020

À propos d’Adam Smith

Un de mes amis, désigné ci-dessous par les initiales JP, dit que l’économie n’est pas une science. Nous en parlons souvent sans jamais tomber d’accord. Je reproduis ici un échange qui m’a donné l’occasion de dire ce que je pense d’Adam Smith.

*     *

JP
 : Ce n'est pas la « main invisible » qui a permis de faire des machines comme la NVIDIA GV 100 et sa puce intégrant 21 milliards de transistors, plus les millions de lignes de code pour son système d'exploitation. Mieux vaut aller regarder du côté de Maxwell, Boltzmann, von Neuman, Turing, Shannon ou Wiener, et de l'ingénierie de système. 

MV : Je suppose que tu n’as pas lu les grands économistes, sinon tu aurais senti ce qui les distingue des esprits étroits qui portent eux aussi le titre d’économiste. 

Les grands économistes se sont employés à produire une représentation schématique et donc simple, mais judicieuse, d’une situation historique dont la complexité défiait l’entendement. Je me suis inspiré de leur exemple pour modéliser l’iconomie. 

Tu évoques la « main invisible » d’Adam Smith. Elle est citée avec trop de complaisance par des personnes qui ne l’ont pas lu, ou pas compris, et qui commettent donc un contresens. 

JP : J'ai quand même lu Adam Smith, car cette histoire de « main invisible » m'intriguait, et même Keynes il y a fort longtemps. Quel est le contresens que tu signales ? 

La littérature sur la complexité ne mentionne rien qui provienne des grands économistes dont tu parles ou alors ça m'a échappé. On peut tout au plus mentionner la théorie des jeux mais c'est un apport de mathématicien. François Dubois (ENS Ulm) avait invité voici quelques années Jean Tirole, avant le prix Nobel, à son séminaire Complexité des systèmes. Il nous a parlé de la théorie des jeux, cela a occasionné un échange intéressant sur la systémique. 

Stiglitz développe des idées intéressantes : son analyse du scandale Enron montre que quand on fait du trading de l'énergie comme du trading boursier, ça se termine par des coupures de courant. Cela illustre les effets de la déconnexion du réel propre à ce type d'économie. Peut-être n'est-il pas lui non plus un grand économiste

jeudi 8 octobre 2020

Platon et le Talmud

Les aventures mentales sont peu visibles mais bouleversantes. Il est difficile de les décrire. J’ai procédé ici par petites touches impressionnistes. J’espère que l’intuition du lecteur comblera les intervalles du récit.

*     *
 
Mon père a tenté de m’initier à la philosophie alors que j’avais douze ans. Nous nous promenions à la campagne et longions un champ de blé dont le vent faisait onduler les épis. « Seules les idées sont réelles », me dit-il, voulant sans doute prendre la philo dans l’ordre chronologique en commençant par Platon. 

Mais le vent et les épis étaient indéniablement réels eux aussi et ils n’étaient pas des « idées ». J’ai donc fermé mes oreilles à ce que mon père a pu dire ensuite. 

Vers la même époque, le père prieur du couvent où une de mes sœurs était moniale s’est attiré l’admiration des religieuses en s’écriant « Ah, mes sœurs, il n’y a que Dieu ! ». 

Dans les avenues qui se creusent entre les écailles de l’écorce des pins je voyais pourtant s’affairer un peuple de fourmis. « Comment peut-il dire qu’il n’y a que Dieu, me suis-je dit, alors qu’existe le monde des fourmis et que l’écorce des pins, vue de près, porte des dessins d’une complexité infinie ? ». 

Je n’aurais pas pu alors former cette phrase mais c’est ce que je sentais sans pouvoir me le dire. L’écart entre ma petite expérience et ce que disaient des personnes respectables m’a procuré un malaise durable. 

Il s’est heureusement dissipé, beaucoup plus tard, lorsque j’ai lu des extraits du Talmud.
 

mercredi 16 septembre 2020

Le président de la République donne une orientation

L’une des explications du mouvement des Gilets jaunes est une révolte après les propos d’Emmanuel Macron sur les « premiers de cordée » et la « startup nation ». L’entreprise dans laquelle travaillent la plupart des Français n’a en effet rien d’une startup et si le gouvernement donne la priorité aux premiers de cordée, que deviendront ceux qui savent n’être que deuxièmes ou troisièmes ?

Emmanuel Macron a sans doute voulu dire à quel point les entrepreneurs et l’esprit d’entreprise sont importants pour notre pays, idée juste, mais les expressions qu’il a utilisées ont irrité. L’effet a été le même lorsqu’il a dit qu’il faut « réindustrialiser » la France car l’image que cela évoque est celle du travail de la main-d’œuvre d’autrefois, dans un environnement bruyant, malodorant, salissant et dangereux.

La communication politique ne parle maintenant pratiquement plus que de « création d’emploi », le grand moyen étant la « relocalisation » des emplois naguère délocalisés vers des pays à bas salaires. L’écologie est appelée à la rescousse : « nous pouvons redevenir une grande Nation industrielle grâce et par l’écologie », a déclaré le Premier ministre, allant ainsi dans le sens d’EELV qui réclame « un plan de relance écologique et social ».

Certes personne ne peut être « contre » l’écologie et le social car il faut respecter la nature dans laquelle et avec laquelle nous vivons, il faut aussi être solidaire des personnes en difficulté : cet esprit anime le groupe « Écologie Démocratie Solidarité » de l’Assemblée nationale qu’ont formé 17 députés issus de l’aile gauche et écologiste de LREM.

Mais l’écologie et le social ne suffisent pas à eux seuls pour donner un sens à notre action productive.

samedi 12 septembre 2020

La formule de l'efficacité

Dubhashi et Lappin prédisent que l’efficacité résultera de l’articulation du cerveau humain et de l’ordinateur : « the strongest chess player today is neither a human, nor a computer, but a human team using computers » (Devdatt Dubhashi et Shalom Lappin, « AI Dangers: Imagined and Real », Communications of the ACM, février 2017). 

L’« ordinateur » peut-il penser tout seul, sans aucune intervention humaine ? Est-il plus efficace que l’être humain ? Va-t-il le remplacer partout dans les entreprises ? 

L’expérience apporte d’utiles enseignements. Certes le Deeper Blue d’IBM a battu en 1997 le champion du monde des échecs, Gary Kasparov, mais par la suite l’ordinateur (et le champion) ont été battus par une équipe de joueurs amateurs utilisant des ordinateurs. Comme l’ont dit Dubashi et Lappin, « le meilleur joueur d’échecs n’est ni un humain, ni un ordinateur, mais une équipe d’êtres humains utilisant des ordinateurs ». 

La formule la plus efficace est donc un partenariat entre l’être humain et l’ordinateur, dans lequel chacun des deux partenaires fait ce qu’il sait faire mieux que l’autre : l’ordinateur calcule vite et exécute inlassablement avec précision ce pour quoi il a été programmé, l’être humain sait interpréter une situation imprévue et décider. 

La programmation d’un automate est d’ailleurs une opération humaine, ainsi que la production, la sélection et la correction des données sur lesquelles sera étalonnée une intelligence artificielle : chaque programme est une intelligence humaine mise en conserve, et son utilisation va requérir un travail humain pour répondre aux incidents, pannes et autres événements imprévisibles. 

Savoir s'informatiser, ou faire faillite

Certains auteurs bien informés disent que le système d’information d’une entreprise est son « système nerveux », sa « colonne vertébrale », sa « principale richesse », etc. 

Le fait est cependant que le système d’information de la plupart des grandes entreprises françaises est de mauvaise qualité. Trop souvent les données sont incohérentes, les processus désordonnés, la supervision et la sécurité défaillantes, les tableaux de bord illisibles, la plateforme informatique instable. 

Ces défauts sont confortés par une organisation en silos hiérarchiques et étanches, par une focalisation sur fonctionnement interne, par une sous-traitance de la relation avec le client (accueil téléphonique, maintenance des installations, etc.) qui dispense de le connaître et de comprendre ses besoins. 

C’est que l’entreprise n’est pas le lieu de l’efficacité et de la rationalité : c’est un être psychosociologique soumis à des habitudes et des traditions, sujet à des phobies et des illusions héritées d’un temps où l’informatique n’existait pas encore. C’est pour cette raison que France Telecom a longtemps refusé le téléphone mobile et l’Internet. 

Or l’informatisation a transformé depuis 1975 le système productif : l’agriculture, la mécanique, la chimie, l’énergie, la biologie, l’écologie se sont informatisées et c’est désormais en s’informatisant qu’elles progressent. 

Comme tout être vivant une entreprise peut se trouver malade même si elle dégage un profit. Les vaches-à-lait, devenues incapables de renouveler l’effort de leurs créateurs, sont rigides et vulnérables : c’est le cas de la SNCF. 

Examiner un système d’information révèle, comme une radiographie, des faits réels que l’entreprise ne voit pas. Cet examen permet de poser un diagnostic et de formuler une prescription, mais elle ne sera écoutée que si les dirigeants ont acquis une intuition exacte des exigences pratiques de l’informatique, des possibilités qu’elle offre et des dangers qui les accompagnent. 

dimanche 6 septembre 2020

Industrialiser = informatiser

On se représente trop souvent l’entreprise comme le lieu de l’efficacité et de la rationalité. Ceux qui y travaillent la vivent cependant, généralement sans savoir ni vouloir le dire, comme un être psychosociologique soumis à des habitudes et traditions héritées du passé.

Lorsque la situation change – qu’il s’agisse des techniques, de la concurrence, de la réglementation, etc. – l’entreprise qu’emmaillotent trop étroitement les habitudes et pouvoirs traditionnels ne pourra percevoir ni les possibilités, ni les dangers nouveaux : elle ratera les premières et tombera dans les seconds.

L’informatisation, que l’on préfère malheureusement nommer « numérique », provoque dans l’économie et la société une transformation d’une profondeur analogue à celle qu’a entraîné la mécanisation aux XIXe et XXe siècles : il est utile de comparer ces deux phénomènes.

La mécanisation

Avant la première révolution industrielle l’agriculture et les mines produisaient l’essentiel de la richesse d’un pays. Dans Anna Karénine (1877) Tolstoï décrit les réflexions d’un propriétaire terrien, Constantin Dmitriévitch Lévine, qui s’efforce de rationaliser son exploitation : son ingéniosité se focalise sur le choix des semences, la nature des sols, le rythme des saisons. Il est hostile à l’industrialisation car elle bouscule le monde auquel il est habitué et dans lequel il sait agir.

On sent la sympathie de Tolstoï pour ce personnage : à la veille de la deuxième révolution industrielle des personnes très intelligentes refusaient donc encore les conséquences de la première.

Celle-ci a déployé à partir de 1775 le potentiel que comporte la synergie de quelques techniques fondamentales (mécanique, chimie, énergie). Sa dynamique dépendait de trois acteurs : l’équipementier conçoit et produit des équipements ; l’entrepreneur organise leur mise en œuvre dans l’action productive1 ; l’homme d’État oriente son pays vers la maîtrise des techniques et de l’art de leur mise en œuvre.

samedi 5 septembre 2020

Un sommet de ridicule

Je viens de recevoir l'invitation de France Stratégie à une Webconférence consacrée à « l'état de l'art et les perspectives du très haut débit en Europe ». Le sujet est important, l'initiative excellente, bravo.

L'invitation est rédigée en français et en anglais, c'est bien.

Mais on y trouve la phrase suivante : « Les échanges se tiendront en anglais sans traduction. ».

Ainsi France Stratégie organise en France une Webconférence mais on y parlera exclusivement en anglais et, pour bien montrer que l'on n'éprouve aucune complaisance envers les ignares et les incultes qui ne maîtrisent pas parfaitement cette langue, on se dispensera de traduire.

On se trouvera ainsi de nouveau dans la situation qui se renouvelle trop souvent : des orateurs qui s'expriment en mauvais anglais ; des auditeurs qui, pour la plupart, font semblant de comprendre ce qui s'est dit ; des idées pauvres, car on n'est pas subtil lorsque l'on s'exprime dans une autre langue que la sienne.

Je sais que l'appauvrissement des idées est parfois jugé utile car il nous évite des excès de subtilité. Mais faut-il se contenter de la récitation de lieux communs et de slogans à quoi tant de conférences se réduisent, la langue anglaise leur conférant un semblant d'autorité ? N'avons-nous pas besoin, s'agissant du très haut débit, d'un peu de subtilité, voire de profondeur ?

Si la Webconférence évite la superficialité elle devra en effet considérer nombre de questions techniques, économiques et stratégiques : dimensionnement de l'infrastructure des télécoms ; distribution en fibre optique ; 5G, avec ou non les équipements de Huawei ; conséquences pour l'industrie de l'audiovisuel et le déploiement de l'Internet des objets, etc.